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Essais Anatomie et micropolitique du lire

septembre 2022 | Le Matricule des Anges n°236 | par Richard Blin

Par-delà les rapports de domination et d’obéissance qui trament la scène de lecture, Peter Szendy nous conduit vers ses zones grises. Fascinant.

Pouvoirs de la lecture

Que se passe-t-il lorsque nous nous adonnons à cette activité apparemment si simple qu’est la lecture ? Que se trame-t-il derrière le face-à-face entre un lecteur et un texte ? Se poser ces questions comme l’a fait Peter Szendy dans Pouvoirs de la lecture, c’est d’abord comprendre ce qui se produit chaque fois que nous lisons, et découvrir ce qui se joue sur la scène de cette activité qui peut être un esclavage – quand les esclaves antiques lisaient pour leur maître –, une peine – lorsqu’un juge condamne à la lecture de livres –, ou un plaisir. Qui peut prendre aussi bien des visages, la lecture pouvant être absorbée ou absorbante, distante ou rapprochée autant qu’elle peut disséquer et déchiffrer, réveiller des désirs secrets ou en faire naître d’inattendus, entraîner dans un autre temps ou au plus profond de nous-mêmes.
Qu’est-ce que lire, donc ? C’est mobiliser au moins trois instances sur la scène d’un petit théâtre vocal. En premier lieu la « voix lisante », ce phrasé murmurant qui vocalise le texte et qui correspond à l’intériorisation de ce que fut la lecture à haute voix pendant des siècles. Elle est la voix que je prête au texte et qui, par le truchement du texte lu, porte la voix de l’auteur vers un auditeur qui lui prête l’oreille. « Lisant, je me laisse traverser par une voix qui s’énonce pour toi, même lorsqu’il semble que moi et toi ne faisons qu’un avec cette voix qui parle pour nous et en nous. »
Survit donc en nous, lorsque nous lisons silencieusement, l’anagnoste, c’est-à-dire l’antique esclave lecteur, celui que l’on faisait lire pour d’autres, qui était une sorte de « livre parlant », et que l’on rencontre notamment chez Platon. Analysant alors des scènes de lecture platoniciennes peuplées d’anagnostes, d’érastes (d’amants) et d’éromènes (d’aimés), Peter Szendy pointe ce qui est en jeu quand on prête sa voix, voire son corps, aux mots d’un autre. Et par-delà le lien étroit qui se noue entre aimer et lire, il donne à voir la violence des rapports de domination qui habitent l’acte de lecture.
Lire, c’est faire l’épreuve du rapport conflictuel des voix qui s’affrontent en nous. Ces forces entre lesquelles se négocie toute la « micropolitique du lire », on les retrouve, mises en scène de façon beaucoup plus violente et complexes, chez Sade. Au triangle phonique qui caractérise la scène de lecture s’ajoute ici une quatrième voix, celle de l’impératif catégorique de lecture qui énonce ce commandement : « Lis ! » Et Szendy de montrer, en compagnie de Lacan, comment cette « infra-voix » qui ordonne de lire – « Lis, même si c’est illisible » – se faufile dans le texte tout en restant confinée dans un intouchable dehors. Des pages où l’on découvre la correspondance secrète entre l’impératif de lecture – « Lis ! » – et la loi de jouissance sadienne – « Jouis ! » –, entre donc la sorte de machine à lire qu’est l’anagnoste et les machines à souffrir que sont les victimes sadiennes.
Poursuivant son archéologie du lire, Szendy s’attache ensuite à montrer, en s’appuyant sur Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino, comment toutes les voix qui peuplent la scène de lecture se relaient et s’entrelacent sans cesse pour constituer le lecteur. Car le lecteur ne préexiste pas à la lecture. « Chaque fois que je lis, la lecture m’invente. » Elle le fait à travers le différentiel de vitesse qui œuvre au cœur de la lecture et la détache du texte. Car, quand la « voix lisante » se retrouve en avance ou en retard sur la voix qu’elle lit, elle s’affranchit du texte et conduit le lecteur à se rejoindre soi-même ou à s’échapper vers un roman à vivre plutôt qu’à lire. Comme si lire ne cessait d’osciller entre deux mouvements contraires, ceux qui consistent à lier et à délier, même si la tradition a massivement privilégié le mouvement de concentration sur celui de la dislocation qui voit la lecture décoller de l’écrit, « tout en le touchant encore », et emporter le lecteur au-delà de l’écrit.
Alors lire « ne revient plus à se conformer à l’écrit mais ouvre à l’exercice possible d’un contre-pouvoir. » Une politisation des opérations lisantes qui trouve une belle illustration dans le Léviathan de Hobbes, un livre qui traite de la construction parallèle de l’État et du lecteur tout en évoquant la lecture « comme tension vers ce qui vient, par-delà texte et lecteur ». Un aspect de la lecture que László Krasznahorkai développe avec brio dans Guerre et guerre. Mais alors on est très proche du moment où les livres pourraient se mettre à vivre leur vie, reléguant la lecture au statut d’un « infinitif pur » sans sujet lecteur.

Richard Blin

Pouvoirs de la lecture,
Peter Szendy
La Découverte, 200 pages, 20

Anatomie et micropolitique du lire Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°236 , septembre 2022.
LMDA PDF n°236
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