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Poésie Tresse et détresse de la lumière

juin 2022 | Le Matricule des Anges n°234 | par Emmanuel Laugier

Face à Giacometti et L’Esclandre : les quatre livres de Jacques Dupin rendus à nouveau disponibles montrent sans détour l’acuité de son regard et la puissance minérale de sa voix.

Face à Giacometti

Presque dix ans après sa disparition, peut-on imaginer ce que Jacques Dupin aurait pu écrire de notre temps, lui qui traversa enfant la Seconde Guerre mondiale, puis les luttes contre le franquisme, celles pour l’Algérie indépendante, et Mai 68 ? Sans doute la violence que certains de ses livres déployaient comme autant de rixes sanglantes, mais aussi l’ironie salvatrice qui s’y donnait à lire, auraient l’une et l’autre plus encore répondu à l’épouvante, à la bassesse et à la veulerie d’aujourd’hui. La loutre ensanglantée, par exemple, qu’écrivait Coudrier (2006), loutre vue entre deux pierres, parle autant du nombre d’heures qu’elle aura passé à « infuser dans la bouilloire de sa gorge » à lui, que de sa volonté, plus tard, de s’« engloutir dans sa fourrure, noir brouillé torpeur océane, songe diluvien, sommeil du glacier ».
Rien ne s’écrit chez lui, sinon à la condition qu’une vérité dite, selon le mot de Brecht, doit être toujours concrète, qu’elle ne se sépare pas du surgissement d’un monde. Cependant que lui répondre est encore l’éclairer autrement, et non en décalquer les apparences. Il s’agit d’un autre travail, que la construction de la langue du poème opère : aiguiser son crayon à la lame de rasoir (Mandelstam) aura été pour Dupin questionner toujours, tel qu’il le fit dans Le Grésil (1996), l’intransitivité du verbe écrire, et en continuer l’interrogation dans les Chansons troglodytes (1986) : « Écrire est-ce poignarder/ la liasse incendier la somme// regarder s’éteindre hors de soi/ la saccade de ton sang// je me défais de ma défroque/ de ténébreux assonancé// et de la volte sur un fil/ d’une églogue qui conclut  ». Bouleversant livre qui, avec Rien encore, tout déjà (1991) et la version augmentée de De nul lieu et du Japon (1981/2001), donne à entendre l’oreille si fine qui les composa tous.
Dominique Viart, à qui l’on doit deux impeccables préfaces, en précise ici les enjeux : « Un véritable souci de l’harmonie et des rythmes guide ces inflexions, et de la prosodie, qui joue avec une tradition récusée  : ”le retour des oiseaux dans la nuit de ma tête/ et le déclin du jour sous mes doigts endormis/ j’alexandrinise et je casse le verre/ que je n’aurais jamais pu boire”. L’ordre aussi est parfois dérangé, afin de parvenir à une progression qui forme clôture ». Précision et alternance prosodique (huitains, dizains, neuvains, etc.), « un vers, écrit encore Viart, “frange d’ébriété d’un sol d’humus et de feuilles”, est ajouté dans (tel) poème (…) afin de parvenir à la régularité de treize vers par poème et de donner ainsi à l’ensemble l’homogénéité qui manquait à la première version. Treize textes donc, de treize vers chacun, quand les poèmes deL’esclandre” seront tous de sept vers et ceux des “Enfants rouges” de neuf ». Pugnacité qui le caractérise, dont la douleur et la difficulté de l’acte d’écriture sont aussi témoins. Jacques Dupin ne cacha pas de n’avoir jamais été touché par la grâce, quand bien même l’on pourrait l’imaginer, tant ses poèmes, par l’expérience qui s’y invente, vous sautent à la gorge et vous émeuvent comme un premier sanglot, vous glacent de peur ou vous saisissent d’une joie déchirante et vraie. À l’exemple de ces vers de Rien encore, tout déjà, dans lesquels les traces autobiographiques se disséminent, l’érotisme se montre comme le blasphème enrage, la volupté s’expose, pudiquement : « la vigne serait claire le raisin lourd/ comme si le malheur n’avait plus de prise/ quand il nous atteint, et qu’il nous serre/ dans la séquence infinie de sa venue/ de son retour – ».
Les pages de De nul lieu et du Japon travaillent elles aussi toutes ces inflexions, mais sans faillir ici à la fascination exotique, ni même à l’imitation japonisante. Livre « de la question/ le nombre/ la terreur » relié au souvenir d’Hiroshima et de Nagasaki, comme aussi à la grâce de l’origami ou à celle du geste du sushiman confondu avec son couteau à effiler, aux vapeurs des bains, etc.
On retrouvera également, dans ce que D. Viart a appelé l’écriture seconde de Dupin, sa façon, si acérée, d’entrer dans une œuvre, et ici celle de Diego Giacometti, dont il sera le premier en France à lui consacrer en 1960 une monographie. Les sept textes écrits (entre 1954 et 2012) cherchent tous à éclairer ce qu’il avait synthétisé génialement de la puissance de l’œuvre de Giacometti par cette formule : « Surgissement d’une présence séparée », qui ouvre, et qui ne ferme jamais, ce que toute expérience infuse au fond de nous.

Emmanuel Laugier

Jacques Dupin
L’Esclandre (Chansons troglodytes,
Rien encore, tout déjà, De nul lieu et du Japon)

Édition de Nicolas Pesquès, Jean Frémon et Dominique Viart
P. O. L, 224 pages, 22,90
Face à Giacometti
Édition et préface de Dominique Viart,
P. O. L, #formatpoche, 224 pages, 15

Tresse et détresse de la lumière Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°234 , juin 2022.
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