Un auteur

Miqui Otero

Un livre

Simón

Editions Actes Sud

Les villes comme les romans sont composés de strates, d’accumulations, de précipités de vies, de gestes héroïques et triviaux, de tumultes et de silences, de soumissions et de révoltes… Des palimpsestes étonnants. Les écrivains qui élaborent le grand roman d’une ville effacent souvent une dette contractée envers elle et ce dès l’enfance, tant les cités sont matricielles. Barcelone ne se résume pas en un centre rutilant offert aux touristes, une succession de places que drainent les Ramblas. C’est une mosaïque de quartiers qui s’interpellent. L’Eixample, le Born, le quartier gothique, ce qu’il reste de la Barceloneta après le grignotage olympique, Montjuich…
C’est au Raval qu’est né Manuel Vázquez Montalbán qui inventa le polar catalan, voire espagnol et composa avec sa série politico-policière-gastronomique des aventures du détective Pepe Carvalho, un des plus grands romans de Barcelone. Miqui Otero y naîtra quelques décennies plus tard en 1980. Après avoir traîné ses guêtres dans les milieux underground (fanzines, labels de disque, cinéma), il collabore à divers médias et enseigne journalisme et écriture créative à l’université. Il publie des essais et trois romans dont Rayos qui rendait déjà hommage à sa ville natale. Simón, son premier livre traduit en français, évoque la période qui s’étend juste avant les Jeux olympiques de 1992 qui verront la destruction de quartiers attachants et populaires, et les attentats islamistes de 2017 mettant les Ramblas à feu et à sang. Simón est un enfant de 8 ans fasciné par les romans de cape et d’épée que lui offre son hypercousin Rico de dix ans son aîné. Rico est pour lui une sorte de magicien, un enchanteur sous lequel se cache en fait un petit escroc dealer. Quand ce dernier disparaît mystérieusement, Simón attirée par la brillance, la réussite devra changer de vie, de classe sociale. Il devient un chef à la mode, voyage autour du monde. Mais il n’est pas toujours aisé de cacher les ongles noirs de ses origines sociales. Ce sera alors la chute, le retour à une dure réalité. Quant à Rico, il réapparaîtra en bien piteux état. « Rappelle-moi de bien te préciser “Simón a dit ouvre les yeux“. Si je te dis simplement “ouvre les yeux“, c’est un piège. Tu dois les garder fermés. Appuie fort avec les doigts et tu verras les étoiles apparaître. On dirait de la magie, une magie sans truc. Seuls les idiots croient qu’il y en a un. »
Très bien agencé, ce roman subtil alterne les allers-retours passé-présent, traverse les classes sociales, mêle fiction et réel, réfléchit sur l’acte de lire autant que celui d’écrire, élève un chant de louanges à une ville autant qu’à la ferveur de l’enfance. D’une écriture fluide, ponctuée de dialogues vifs, saisissants, il est parcouru par un souffle épique. Preuve qu’un roman de cape et d’épée peut encore toucher notre modernité.

Peut-on dire que Simón est à la fois un roman initiatique et désenchanteur ?
C’est un roman d’initiation qui marque les...