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Traduction Renato Weber *

mars 2022 | Le Matricule des Anges n°231

La Terre et son satellite de Matteo Terzaghi

La Terre et son satellite

En repensant à cette traduction immédiatement après l’avoir envoyée à l’éditrice, je me souviens que je m’étais dit que, dans l’ensemble, elle s’était faite sans difficulté majeure, et que, une fois publiée, je n’aurais certainement plus rien à dire à son propos : cela aura certes été un travail enrichissant, aventu- reux, passionnant, comme les deux ou trois autres œuvres que j’ai eu l’honneur de traduire, mais qui ne m’a pas mis face à des obstacles insurmontables, des écueils qui mériteraient qu’on y revienne ou qui donneraient matière à une réflexion (théorique) intéressante. Voilà ce que je m’étais dit.
Cependant, avec un peu de recul (ô combien salutaire), et peut-être aussi devant le peu de réactions que ce travail a suscitées jusqu’à présent (silences qui ont toujours de quoi me faire tout remettre en question), l’idée m’est soudain venue que j’avais peut-être tout bonnement échoué à rendre accessibles ces brefs textes, même si leur langue pose peu de difficultés et que cette simplicité du moins apparente appelle sans aucun doute une traduction proche du texte, respectueuse en tout cas d’une simplicité formelle assumée, et je dirais même recherchée par Matteo Terzaghi.
L’autre nuit, j’ai rêvé (était-ce un cauchemar ?) que ma traduction était, depuis le jour de sa publication, simplement inaccessible à mes lecteurs – ce qui expliquait le silence embarrassé, et embarrassant, de ces derniers. Inaccessibilité non pas pour des raisons linguistiques, parce que je ne serais pas parvenu à rendre certaines particularités du lexique, de la syntaxe, etc., mais bel et bien culturelles, liées à la réception. Et si ce recueil de trente-quatre brèves proses, d’une longueur qui varie entre une phrase (Dans la salle de sciences, il y a un squelette qui nous fixe de ses orbites vides, p. 29) à cinq pages au maximum, ai-je rêvé, ne parlait à personne parce que le lectorat francophone ne connaît suffisamment ni Matteo Terzaghi (il s’agit de son premier ouvrage traduit en français), son style et ses sensibilités, ni les modèles littéraires et culturels avec lesquels il dialogue plus ou moins explicitement et qu’il suppose connus de ses lecteurs « habitués » ? Et si les francophones ne « comprenaient » pas ces textes parce qu’ils ne parviennent pas, faute de références, à les lire comme une nouvelle manière de faire de la littérature (s’ils se trouvaient désemparés face à la nouveauté formelle et stylistique de ces petits essais, à mi-chemin entre la littérature et la rédaction scolaire ou encore le manuel scientifique) ?
Car, certes, les italophones reconnaissent en Terzaghi un écrivain non pas forcément prolifique, mais d’une plume d’autant plus sensible et inventive, parfois d’un humour de sarcastique à narquois, et aux (p)références littéraires, philosophiques et artistiques vastes : les auteurs admirés sont entre autres Robert Walser, Danilo Kiš, Francis Ponge, Anne Frank, Italo Calvino, sans oublier Joseph Brodsky, son poète de prédilection. Et les italophones le connaissent et l’apprécient ainsi, et liront toujours ses œuvres à travers les lunettes de ces connaissances – comme ils l’ont sans doute aussi fait en lisant La Terra e il suo satellite.
Le rêve que j’ai fait est plutôt angoissant pour un traducteur, car il a de quoi anéantir l’utilité et le bien-fondé de tous ses efforts. S’il ne me lâche pas, c’est peut-être à cause de l’opposition et de l’ambiguïté absolues entre d’un côté son incroyable vraisemblance et, de l’autre, le fait que je suis vraiment loin d’y croire : l’idée que les lecteurs de ce côté-ci des Alpes soient moins bien préparés que les Italiens et les Tessinois à cause d’un prétendu manque de connaissances de la matière dont est constitué notre auteur me semble en réalité tout à fait absurde.
Car, comme je l’ai suggéré, l’horizon culturel dans lequel se déploient ces « compositions » littéraires est européen et plurilingue, et les œuvres auxquelles Terzaghi rend hommage sont notamment Le Parti pris des choses (le texte d’ouverture du recueil est d’ailleurs intitulé « La pluie ») et Les Rédactions de Fritz Kocher, la première œuvre de Robert Walser, publiée en 1904, en principe connue d’un public francophone plus large depuis sa publication dans une traduction de Jean Launay par Gallimard en 1999. Un manque de points de repère culturels des lecteurs de culture francophone (le fait qu’ils n’auraient jamais rien lu de comparable) ne peut donc guère être allégué pour expliquer leur silence. Et si c’était un manque de curiosité ? Car, convenons-en, si Matteo Terzaghi a un regard sur le monde bien à lui, curieux et empreint d’une sorte de naïveté revendiquée, et si le ton de rédaction scolaire de certaines proses est peut-être plus facile à situer et à apprécier pour ceux qui le connaissent déjà, il n’en reste pas moins que La Terre et son satellite nous offre une manière de lire le monde et un style qui sont nouveaux pour tous ses lecteurs.
Chères lectrices et chers lecteurs francophones, mon travail de médiation ne saurait porter de fruits sans votre curiosité et votre ouverture d’esprit. Je vous exhorte donc à vous ouvrir à ce premier ouvrage terzaghien traduit en français sans préjugés ou parti pris, et à lui réserver l’accueil qu’il mérite. Et surtout, afin de reléguer définitivement l’idée qui m’a traversé le cerveau l’autre nuit (cauchemar !) dans le monde des rêves, n’hésitez pas à vous exprimer, à réagir à ce premier livre de notre auteur tessinois. Toujours dans l’espoir d’éveiller votre curiosité, voici pour conclure trois titres de chapitres (parmi les trente-quatre), naturellement glanés au hasard, en guise d’amuse-bouche : Le sectionnement des lombrics, Un enterrement surprenant, La pluie dans la salle de lecture.

*Renato Weber a également traduit Pietro De Marchi, Alberto Nessi et Giovanni Orelli. La Terre et son satellite (112 p., 16 e) a paru le 20 janvier aux éditions La Baconnière.

Renato Weber *
Le Matricule des Anges n°231 , mars 2022.
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