Tugdual Laugier est un trentenaire promis à une belle carrière. Recruté par un cabinet de conseil en stratégie obnubilé par le secret de ses affaires, le jeune loup déchante vite : durant trois longues années, il occupe un bureau vide à la tête d’une cohorte de crayons à papier, jouant avec une cravate qui manque l’étouffer. Il est bientôt le spécialiste de la flatulence postprandiale et du mensonge domestique sur ses occupations quotidiennes… Rien, il ne fait rien et c’est tout le sujet du roman de Pierre Darkanian, Le Rapport chinois. Néant, nitchevo, nada, jusqu’au jour où l’un des patrons du cabinet lui commande au débotté un rapport sur la Chine. Loin de se démonter – et c’est là le signe de la bêtise de plus en plus manifeste de Tugdual – ce dernier compose en quelques jours un atroce compendium de stupidités relatives à la Chine tirées d’Internet et d’une exploration des restaurants du XIIIe arrondissement de Paris. Indigeste au point que ses lecteurs y découvrent un abîme, l’éradication de toute pensée, le vide total.
Cet « ironique trophée de la bêtise humaine », mobile burlesque de Darkanian, évoque plusieurs phénomènes bien connus des lettrés avec l’Ignatius de La Conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole ou le Jérôme de Jean-Pierre Martinet, deux grands et gras imbéciles immodestes et d’esprit paranoïaque. N’étaient ces caractéristiques physiques, Tugdual évoquerait aussi le falot bureaucrate du Microfilm d’Emmanuel Villin (Asphalte, 2018) également inoccupé dans une douteuse officine. La perte de sens générale justifie ces modernes satires de nos vies professionnelles. Cependant, si les folies d’Ignatius ou de Jérôme procèdent à l’élaboration de cathédrales inouïes d’outrecuidance inventive et de non-sens, la tentation de Pierre Darkanian de raccrocher son fantasque bonhomme à la rationalité d’une enquête policière sur fond de trafic de drogue et de crise des subprimes embourbe nettement l’allant de cet intrépide cornichon de Tugdual dans la seconde moitié du roman devenu moins plaisant. D’un Rien, il est souvent très difficile de se dépêtrer…
Éric Dussert
Anne Carrière, 304 pages, 19,90 €
Domaine français Le Rapport chinois de Pierre Darkanian
septembre 2021 | Le Matricule des Anges n°226
| par
Éric Dussert
Un livre
Le Rapport chinois de Pierre Darkanian
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°226
, septembre 2021.