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Domaine français La chair des choses

juillet 2021 | Le Matricule des Anges n°225 | par Richard Blin

Au fil d’une écriture qui prend le temps de dire et de montrer, Jean-Loup Trassard réincarne souvenirs, postures et présences paysannes. Inimitable.

Un jour qui était la nuit

Il publie depuis le début des années 60 et son œuvre le situe au plus haut de la littérature contemporaine. Trassard, c’est une manière de raconter, une façon d’approcher le visible, de rendre les choses totalement présentes. C’est un regard toujours en mouvement et une écriture dont le corps est l’aune et l’enjeu. Né en 1933 dans un petit canton du département de la Mayenne, dans une campagne dont il aura fait le cœur battant de son œuvre, Jean-Loup Trassard nous donne aujourd’hui, avec Un jour qui était la nuit, un ensemble de quinze récits relevant chacun d’une forme d’écriture différente.
C’est que Trassard est un écrivain qui refuse de s’en tenir à une manière, qui cherche pour chaque livre, chaque récit, le ton, la phrase, le rythme, le vocabulaire les mieux adaptés à son projet. Ainsi il peut raconter une histoire en nous embarquant dans le flux du vécu, en nous installant dans le sillage de ses personnages, comme dans « Casquettes ». Une autre fois l’histoire prend corps au fil d’une conversation (« Marteau ») ou se trouve diffractée ou relayée par la parole qu’il donne à des gens qu’il connaît ou a connus. Dans « Interrogat », c’est la parole d’un sacristain, au prix d’un remarquable travail de restitution, qui donne à entendre l’unité de souffle, les hésitations de la mémoire et les tours d’expression et de pensée du patois mayennais.
Des récits où il parle de lui, de sa propre disparition (« Encore un peu de vent ») ou de celle qui rassemble un village autour d’un trou (« Un jour qui était la nuit »). Où il évoque la douce folie d’aimer malgré la différence entre les âges, « rien, dans le domaine des sentiments, n’étant interdit de façon absolue » (« La codorniz  »). Sauf que ces amours obligent parfois à « accepter, lucidité assez affreuse mais utile, de mourir un peu avant de disparaître complètement » (« En l’absence du Malin ? »). Mais il est des récits plus inattendus et plus intrigants où se donnent à lire les ressorts d’une écriture et les fondements de l’art d’écrire trassardien. Comme dans « Effacement », qui nous plonge dans « la projection orale » d’un film considéré comme ayant disparu mais que le narrateur a eu la chance de voir autrefois. « Me voilà devant vous aujourd’hui pour tenter de vous faire voir ce qu’ont vu mes propres yeux. » Un film en couleurs qui se résume à la déambulation solitaire d’un homme qui s’enfonce dans l’épaisseur de la campagne de « l’Ouest profond ». Cet homme est notre regard, nous ne voyons que ce qu’il voit ou perçoit. Un film qui met en images la richesse sensorielle de l’expérience perceptive du monde, la façon dont le regard fait le visible – comme il fait la photographie dont on sait que Trassard la pratique avec bonheur. Ce regard scrutateur, qui sait voir et veut savoir en deçà de toute signification, est le sien, celui-là même d’où procède toute son œuvre. Pas de psychologie, pas de « caractères » chez Trassard.
Le sujet n’est pas ce qui importe le plus pour lui. L’invention, la fiction ne sont pas son affaire. Il est l’écrivain de ce qu’il a devant lui. « L’histoire est un leurre » nous dit-il dans « Et maintenant ». Elle sert d’appui pour « tendre des mots », élaborer, à l’instar de l’araignée tissant sa toile, « le filet transparent des mots » dans lequel les lecteurs se jetteront « si l’écriture est réussie ». Car c’est la langue qui est la matière de Trassard. Il écrit comme il partirait à l’aventure : « Si je me suis engagé dans cette tentation – oui, tentation plus que tentative – d’écrire ce château, c’est avec la pensée que peut-être une surprise m’arriverait pendant l’écriture ou par elle. » « Si chaque mot prend l’empreinte d’un endroit du château, celui-ci peut se dresser sur ses quatre murs dans et par la langue qui le dit. »
Cette façon de se porter au-devant des choses, on la retrouve dans Manivelles et valets, un livre qui s’inscrit dans la lignée d’Objets de grande utilité. Y sont décrits divers instruments – le « pile-heudins », qui hache les ajoncs, le broyeur de pommes, la baratte, la meule d’affûtage – qui étaient actionnés à la manivelle par des valets de ferme dont il évoque les misérables conditions de vie. Ces valets, sa phrase nous les montre au travail à travers le maniement de ces instruments. Une mise à nu de l’intimité rurale et une façon de leur rendre hommage qui dit tout l’amour que Jean-Loup Trassard porte aux traces du passé et aux choses disparues.

Richard Blin

Un jour qui était la nuit et
Manivelles et valets
Jean-Loup Trassard
Gallimard, 304 pages, 21
Le Temps qu’il fait, texte & photographies, 72 pages, 24 

La chair des choses Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°225 , juillet 2021.
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