L'héritage Commune
- Présentation Tombeau d’un monde rêvé
- Autre papier Fouteurs de bordel, par Arno Bertina
- Autre papier La femme s’offre à la Commune, par Dominique Sigaud
- Entretien L’origine du chaos
- Autre papier Le premier mort de la Commune, par Pierre Vinclair
- Autre papier Un temps de repentis, par Michel Surya
- Autre papier Plaque de verre, par Nathalie Quintane
- Entretien Le rêve des reclus
Ce fut plus qu’un feu de paille, même si elle en eut la durée. La révolution sociale qui embrasa Paris du 18 mars au 28 mai 1871 aurait pu accoucher d’une société dont les derniers utopistes n’oseraient pas rêver. De l’égalité enfin réalisée à la démocratie directe, la Commune a adopté bon nombre de mesures que les mouvements ouvriers, révolutionnaires ou seulement progressistes depuis lors ont d’abord reprises puis abandonnées peu à peu au fur et à mesure que s’affirmait la victoire du capitalisme global. La réquisition des entreprises abandonnées par leurs propriétaires (qui devront être indemnisés) et leur transformation en coopératives, avec élection du personnel encadrant, l’instauration d’un salaire minimum, la création des bureaux municipaux pour l’embauche, la réduction du temps de travail, la libération de la presse (très foisonnante dès lors comme en atteste Bernard Noël), l’émancipation des femmes, l’élection au suffrage universel des fonctionnaires : la Commune aura été aussi et surtout le creuset d’une pensée et d’une action politique neuves. On pourrait, à l’instar du philosophe Jean-Clet Martin (p.24-25) tenter de saisir comment cette effervescence libératrice est née de l’insupportable condition faite au peuple parisien, affamé par le siège prussien, trahi par sa classe dirigeante depuis Napoléon III qui pour échapper à la révolte s’était lancé dans une guerre vite perdue contre la Prusse jusqu’à Thiers qui négocia auprès de Bismarck la restitution des soldats prisonniers afin qu’ils aillent massacrer les communards, désormais ennemis communs.
On comprend que la Commune soit si peu enseignée comme en atteste Nathalie Quintane (p.23) : les vainqueurs ont beau écrire l’Histoire à leur façon, le massacre de plusieurs milliers de civils ne se raconte pas sans un arrière-goût de mauvaise conscience.
C’est au sortir de mai 1968 que Bernard Noël décide de se lancer dans ce grand chantier du Dictionnaire. Il a les bagages théoriques bien remplis par ses lectures de Marx, Engels, Lénine, Blanqui… Il a lu Vallès, évidemment et possède alors « la certitude qu’il y avait » dans cette histoire « quelque chose d’inachevé dont l’énergie demeurait latente et prête à fuser ». Pendant deux ans, l’écrivain va collecter les sources, établir des centaines de fiches à partir de la lecture des 141 journaux parus un siècle avant lui, des témoignages laissés par Lissagaray, Arnould, Malon, Vuillaume, Victorine B, Louise Michel et tant de communards. Travail colossal porté par cette pensée aiguisée et sensible que l’auteur de La Castration mentale a toujours mis au service d’une écriture déliée et élégante, dont la finesse et la beauté renforcent la radicalité. Il explique, avec une acuité sans égale, pourquoi la forme du dictionnaire était la meilleure possible pour son entreprise : il s’agit de laisser à chaque lecteur le soin de construire son propre récit sans jamais défaire la « pluralité » de la vie et des événements qui...