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Égarés, oubliés No future

mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223 | par Didier Garcia

Dans une Bucarest en ruine, le Roumain Mircea Cărtărescu (né en 1956) plante un roman labyrinthique, aux accents de fin du monde.

On avait déjà éprouvé ce genre de vertige avec le 2666 de Bolaño, le Tunnel de Gass, le JR de Gaddis, ou encore Le Grand Roman de Ladislav Klíma. Cette impression de ne jamais très bien savoir où l’on est, où l’on va, et de pouvoir perdre pied pour peu que la lecture se fasse un peu moins attentive. Cette certitude, éprouvée page après page, de ne jamais être, en tant que lecteur, dans sa zone de confort. Et de se sentir sans cesse malmené par un texte tentaculaire, à l’intérieur duquel on craint d’être englouti. Avant d’en ressortir les bras ballants. Un peu sonné. Mais aussi épaté.
On avait déjà éprouvé tout cela, mais rarement, il faut bien l’avouer. Aussi se réjouit-on d’avoir de nouveau entre les mains un de ces romans monstres qui dérangent autant qu’ils fascinent.
Donné pour le journal d’un écrivain raté (un soir, alors qu’il n’avait que 20 ans, il a lu devant un cénacle un long poème intitulé « La Chute », pour se faire ensuite éreinter, ce qui a eu pour conséquence immédiate de le faire renoncer à la littérature – mais pas à l’écriture, heureusement pour le lecteur), ce roman est la confession d’un professeur de roumain dans une école de Bucarest (ville « conçue comme un musée à l’air libre, musée de la mélancolie et de la ruine de toute chose » et tenue pour « la plus triste à la surface de la terre »). Un professeur dont l’ambition est d’écrire « un compte-rendu » de ses anomalies. Et en la matière, le bonhomme est plutôt bien servi. Il vit dans une maison aux allures de labyrinthe, comportant « des dizaines, des centaines ou des milliers de pièces », et construite au-dessus d’un solénoïde géant, dispositif électrique complexe permettant au propriétaire des lieux de s’offrir de belles minutes de lévitation (y compris lors de séances érotiques avec une professeure de physique). Il avoue conserver ses dents de lait dans une boîte de Tic Tac car elles sont à ses yeux « une sorte de preuve archéologique » de son existence passée (des « fossiles » de son « Précambrien personnel »). Mieux encore : il a lu dans son jeune temps un traité de parasitologie dont les souvenirs hantent jusqu’à ses rêves, peuplés de créatures fantastiques et de malformations physiques (cauchemars dont il tient bien sûr le journal et dont il donne ici de larges extraits).
Deux axes principaux travaillent ce millier de pages : un présent plutôt pauvre, arrimé à la salle des profs, et l’enfance du narrateur, essentiellement médicale (visites chez le stomato, vaccins, radios, et plus que tout son séjour dans un préventorium égaré au fin fond des Carpates…). Solénoïde progresse on ne sait trop comment (et d’ailleurs peut-être ne progresse-t-il pas), sans le secours de la moindre intrigue (et l’on n’emploiera le mot roman que par facilité, car le narrateur dit éprouver une véritable aversion pour le genre), grâce à une sorte de constant va-et-vient entre ces deux polarités temporelles. Et on sent planer sur l’ensemble quelques ombres tutélaires, à commencer par celles de Borges et de Lautréamont (les évocations du sarcopte de la gale semblent avoir hérité des Chants de Maldoror). Mais c’est surtout sous le patronage de Kafka que ce livre se range, tenu ici pour « le maître des rêves ».
Publié en 2015, ce roman-fleuve cherche à embrasser le monde, à tout en dire, mais plus particulièrement à le montrer tel qu’il va mal, tout en s’efforçant de rendre poreuse la frontière qui sépare ordinairement le rêve et la réalité. Sa lecture s’apparente d’ailleurs souvent à une épreuve physique, dont on ne sort pas totalement indemne, surtout après une fin qui prend des allures d’apocalypse… Tout ce qui dérange est là, livré pêle-mêle : la douleur, la maladie, l’absurdité de la mort, et donc de la vie (comme quand il découvre, enfant, que les hommes sont mortels : « Alors seulement, tu as la révélation que tu vis dans un abattoir, que les générations sont massacrées et que la terre les engloutit, que des multitudes continuent à être poussées dans le gosier de l’enfer, que personne, absolument personne n’en réchappe »). Si le lecteur peine, se sent oppressé, pour le narrateur, cela tomberait plutôt bien, lui qui assure n’avoir aucun respect « pour l’art qui apporte confort et consolation ». Solénoïde serait ainsi la défense et l’illustration que « les seuls textes qui devraient jamais être lus sont les textes non artistiques et non littéraires, les textes âpres et impossibles à saisir ». Pour ce qui est de se l’approprier, l’affaire est entendue : c’est un texte que l’on n’est pas près d’épuiser, et auquel il faudra revenir.

Didier Garcia

Solénoïde
Mircea Cărtărescu
Traduit du roumain par Laure Hinckel
Points, 976 pages, 13,50

No future Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°223 , mai 2021.
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