Pierre Patrolin a 57 ans lorsqu’il commet un premier roman de plus de 750 pages dans lequel un homme effectue La Traversée de la France à la nage (P.O.L, 2012). Dix ans plus tard, les obsessions sont intactes, les exigences bien chevillées au corps. Les Deux Domaines de la solitude est l’itinérance d’un homme et d’une femme entre le Vaucluse et la Gironde. Ayant abandonné leur voiture de location tombée en panne alors qu’ils se rendaient à un enterrement, ils se retrouvent à improviser leur voyage, à pied, en train, en autobus. Si le moyen de transport est essentiel chez Patrolin, c’est davantage ce qu’il en fait qui donne à son récit sa saveur insolite.
Rien d’extraordinaire pourtant (où manger ? où dormir ? train ou autocar ?), le pittoresque naît du banal. Tout n’est qu’attention à ce qui se meut autour : un vignoble sous la pluie, la carnation d’une peau, les errements d’une guêpe autour d’une assiette, « un sexe qui se gonfle un peu pour venir se loger dans un autre »… Et cet égard pour le quotidien crée une tension délicieuse : le lecteur est, à la fois, en territoire connu et totalement dépaysé. Il ralentit lui aussi. Notre rapport à la fiction en est changé puisque loin de ne faire que décrire, l’auteur interroge et sans concessions invente des histoires, entre différence et répétition, à l’image du vignoble français aux sillons toujours recommencés. Peu de dialogues entre personnages, pas d’arrière-plan psychologique, un récit frontal et linéaire. Purement factuel pourrait-on dire s’il n’y avait ce flottement permanent entre tragique et comique qui déplace le récit ailleurs. Et à ce jeu de cache-cache, Pierre Patrolin a toujours un coup d’avance.
Tous vos romans possèdent des titres dont la dimension programmatique est très forte. Pourriez-vous nous en dire davantage sur Les Deux Domaines de la solitude, un titre à la fois énigmatique et paradoxal ?
Effectivement, pour chaque texte, dans la question du titre se manifestent deux dimensions complémentaires : l’annonce sinon d’un programme mais au moins la promesse d’une hypothèse à explorer, en partage avec un lecteur éventuel, mais aussi, et surtout, une fonction pratique dans la solitude de l’auteur en action : l’érection d’un garde-corps, ou garde-fou, nécessaire à imposer des limites à ne pas dépasser, et, simultanément, susceptible de proposer les limites qu’il convient d’essayer d’atteindre. Par exemple, dans La Traversée de la France à la nage, deux frontières, espagnole et belge, qui définissent les deux termes du projet. Deux bornes. L’une en guise d’origine, la seconde comme but à atteindre avec la certitude qu’il serait impossible, ou vain, de prétendre conclure sans la perspective de l’avoir atteinte. Tout aussi bien, l’interdiction d’envisager un autre moyen de locomotion que la natation.
De la même manière, dans Voyage au centre, l’énoncé du titre suffit à imposer de renoncer à s’arrêter avant d’être parvenu au cœur de la...
Entretiens Voyager, boire et faire l’amour
mai 2021 | Le Matricule des Anges n°223
| par
Christine Plantec
En 2018, Pierre Patrolin publiait J’ai décidé d’arrêter d’écrire. Trois ans plus tard, nous retrouvons le romancier avec son univers déroutant et ses intrigues ordinaires, où tout devient possible.
Un livre