La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Mécanique horlogère du suspense

avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222 | par Jérôme Delclos

Dans un décor à la Edward Hopper, Yves Ravey ajuste avec Adultère l’inexorable tic-tac du drame suburbain.

Lors d’une rencontre à Toulouse en 2015, Yves Ravey disait : « il y a dans toute ville, plutôt à la périphérie désormais, une station-service par exemple. Et cette station implique plein de choses : l’essence, les couleurs, les néons, les pompes, l’argent, ce qui y est vendu, etc. Tout ça, c’est important (…). Mais c’est aussi parce que c’est en même temps plus simple d’écrire comme ça. J’essaie d’écrire des choses simples ». Six ans plus tard, c’est le décor d’Adultère : « La station, avec ses distributeurs d’essence, se voyait délimitée de la nationale par un terre-plein couvert de plantes grasses, sous l’enseigne lumineuse jaune et rouge du groupe pétrolier ». Mais en quoi est-il « plus simple d’écrire comme ça  » ? Parce que les marqueurs du paysage périurbain – un motel, un garage, l’entreprise d’électroménagers de Bureau des illettrés ou le Bambi Bar du roman éponyme – suffisent à Ravey à installer ces lieux périphériques qui nous sont familiers, et en eux la tragédie qui, dès les premières pages, y démarre son compte à rebours.
Cette intention « d’écrire des choses simples », qui peut sembler modeste, exprime en fait une ambition. Écrire le « simple », tel est le défi que relève Ravey quand s’y « essayer » reste pour lui, à chaque nouveau roman, à retenter comme un beau risque. D’où le sentiment, pour le lecteur, non pas de lire le même livre mais d’y retrouver à chaque fois le souci inchangé de l’auteur de parvenir à la forme narrative la plus mince et du coup la plus précise. Il en reste un style dont la seule spécificité semble le refus du style, une écriture « blanche » mais pourtant étrangement singulière. En quoi Philippe Claudel tout comme Éric Chevillard visent juste, dans le numéro que la Revue des sciences humaines lui a consacré en janvier 2017, en parlant d’un « mystère Ravey » (Claudel) ou de « l’Énigme absolue » de « ces thrillers étouffés, ces romans noirs diaphanes » (Chevillard).
Périurbaine ou suburbaine, la station-service dont Jean Seghers est le gérant s’annonce tôt comme le futur théâtre d’un fait divers. Un dossier de déclaration de faillite, sa mère qui lui refuse un prêt, sa femme qui se montre trop proche du président du tribunal de commerce, et son veilleur de nuit qui exige ses indemnités : il va bien falloir pour Seghers payer la note, et déjà c’est la roue dentée du fatum qui tourne en silence, lentement mais sûrement. Si presque rien d’abord n’arrive, la noirceur perce sous la morne, la presque reposante géométrie du lieu « jaune et rouge » entièrement dédié, dans ses couleurs saturées, à sa seule fonctionnalité. Une scène que surprend Seghers le forcera, et nous avec lui, à une conversion du regard, et à revenir, pour lui sur ce qu’il avait cru saisir des choses, pour nous sur ce que nous avions lu dans les chapitres précédents. « Mes pensées devenaient plus claires désormais, plus fluides, alors que s’élaboraient, point par point, les phases successives et à venir de mon projet criminel. Celui-là, je l’exécuterais sans faillir ». De perdant et observateur passif de sa chute, Seghers se fait acteur qui exécute son plan, avec une froideur de salaud qui ne manque pas de troubler. Seghers est emblématique des personnages de Ravey dont on pourrait dire qu’ils ne déplaisent pas tout à fait, sans jamais parvenir à plaire.
Débarquent un gendarme moins bête qu’il n’en a l’air (cf. Bourvil, La Tactique du gendarme), et surtout Brigitte Hunter, enquêtrice des assurances, très fort personnage de femme parce que coriace, perspicace et vive, et dont le tic-tac métronomique de ses talons aiguilles sur la scène du désastre va ponctuer le suspense en crescendo. L’épilogue, quand on croyait tenir le dénouement, viendra casser toute la mécanique de la lecture et nous contraindre, devant ses pièces bien alignées sur l’établi, à la remonter, l’œil sur cet accessoire que Seghers à un moment a ôté de son poignet, et qui compte.

Jérôme Delclos

Adultère
Yves Ravey
Éditions de Minuit, 140 pages, 14,50

Mécanique horlogère du suspense Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°222 , avril 2021.
LMDA papier n°222
6,50 
LMDA PDF n°222
4,00