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Traduction Jean-Marie Saint-Lu

janvier 2021 | Le Matricule des Anges n°219

Un père étranger, d’Eduardo Berti

Excepté pour son tout premier roman paru en français, Le Désordre électrique (Grasset, 1999), j’ai le plaisir d’être le traducteur « attitré » d’Eduardo Berti (Buenos Aires, 1964), et Un père étranger est le 11e ouvrage né de notre collaboration. Je suis en effet de ces traducteurs qui pensent qu’une traduction idéale est le fruit d’une collaboration auteur-traducteur. Comment le traducteur ne profiterait-il pas de la possibilité de demander à l’auteur – lorsqu’il est vivant, bien sûr – toutes les précisions propres à améliorer son travail ? Et en l’occurrence cette collaboration est rendue possible par la parfaite connaissance qu’Eduardo a du français. Je fais toujours appel à lui en cas de doute – je doute beaucoup – et ce n’est jamais en vain. De plus, je ne manque pas de lui communiquer le résultat de mon travail, pour une dernière caution apaisante avant de l’envoyer à l’éditeur.
C’est d’ailleurs en travaillant avec lui que m’est venue une image dont je me sers souvent lorsqu’on m’interroge sur le rapport auteur/traducteur. Il y a en espagnol un fort beau mot, qui a gardé toute sa force étymologique alors que son équivalent français l’a depuis longtemps perdue : c’est le mot compadre, du latin compater, qui signifie « parrain ». Et dans le monde hispanique, le père et le parrain d’un enfant sont très logiquement, et de manière toujours très vivante des compadres, des « copères », ce qu’évidemment ne signifie plus « compère » en français. Je transpose à la littérature : si l’auteur est le père de son roman, le traducteur en est le parrain. Belle coresponsabilité, peut-on dire. Et même, osons-le, belle copaternité.
Voilà sur quels principes s’est dès le début fondée notre collaboration, et on va voir qu’elle s’est exercée de façon plus marquée encore pour Un père étranger, roman quasi autobiographique dont le thème fondamental est la quête de l’identité, et plus précisément de l’identité étrangère : le narrateur (et l’auteur est juste derrière) vient d’apprendre que son père, émigré de Roumanie a, lui aussi, écrit un roman, et dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle, alors que lui-même est en train d’en écrire un sur la vie d’un autre émigré célèbre et qui s’est rendu célèbre en écrivant lui aussi dans une langue qui n’était pas la sienne, le Polonais Joseph Conrad. Cette coïncidence le décide à partir à la recherche de ses origines roumaines, dont son géniteur ne lui a jamais dit grand-chose. Commence alors une double quête, dont les fils s’entrecroisent en tissant une trame complexe : le narrateur trouvera-t-il celui d’Ariane ?
Pour en revenir à la traduction, je l’ai faite à partir du volume que m’avait offert Eduardo, et qui était un exemplaire de la première édition, argentine, dudit roman. Une édition peu soignée, faut-il dire, qui présentait des imperfections corrigées ensuite – mais pas toutes – dans la première édition espagnole. Lorsque, l’ayant terminée, j’ai envoyé ma traduction à Eduardo, il a tout de suite retrouvé les imperfections en question, et vu, heureusement, qu’elles n’étaient pas toutes de mon fait… Il m’a donc proposé de reprendre ce qui n’allait pas, et petit à petit, se piquant au jeu, il a commencé à réécrire par-ci (un peu), à supprimer par-là (beaucoup), au point qu’à l’arrivée la version française présentait un certain nombre de différences avec l’original argentin. Si l’on pense à la fameuse définition de la traduction proposée par Umberto Eco – traduire c’est dire presque la même chose –, le presque devenait, ici, une notion assez élastique. Expérience passionnante : j’ai vu un écrivain remodeler son texte à partir de la traduction que je lui en avais proposée. Et même le réécrire en partie, au fur et à mesure des échanges avec le parrain de son enfant, au point qu’il est possible de dire, sans paradoxe, que la version française de Un padre extranjero est elle aussi… un original. Il suffirait pour s’en convaincre de comparer page à page, paragraphe à paragraphe, Un père étranger non seulement à la première version, argentine, du roman, mais aussi à la version espagnole. Il ne manquerait plus alors qu’une opération, qu’Eduardo traduise en espagnol Un père étranger et donne pour titre à sa traduction Un padre extranjero. Après tout… n’est-il pas, aussi, oulipien ? Pour ne pas paraître cuistre, nous éviterons soigneusement de faire ici allusion au très célèbre Pierre Ménard… Et pardon pour la prétérition.
Outre ce qu’il raconte, Un père étranger présente deux caractéristiques, très oulipiennes elles aussi : le roman donne naissance à un rejeton immédiat, à savoir un autre roman, plus bref, intitulé (comme on pouvait s’y attendre) Un fils étranger, en cours de traduction à La Contre Allée. On y relate le voyage en Roumanie que le narrateur-auteur finit par se décider à faire pour retrouver ses racines. Pour le définir, et si le titre n’était pas déjà pris, on pourrait dire que ce nouveau livre aurait pu s’appeler Le Voyage sentimental à travers la Roumanie. Un livre lourd d’une émotion tout du long maîtrisée qui en fait la plus belle qualité. Ce n’est pas tout : c’est à l’invitation des autorités roumaines que le narrateur a entrepris ce voyage, en échange d’une série de conférences sur… l’identité. Ce qui donne naissance à un ensemble de 66 notes préparatoires auxdites conférences, et qui sont autant de définitions de l’identité. Ce texte sera publié par Les Mille Univers, de Bourges, dans une édition artisanale et limitée.
Un mot pour finir sur la langue d’Eduardo Berti : d’une clarté et d’une précision sans défaut, elle ne présente pas de difficultés de compréhension. Le traducteur peut donc consacrer son attention à en rendre la respiration, « la petite musique », et c’est un tout autre défi. Mais c’est, sans conteste, le plus excitant : que l’auteur francophone puisse reconnaître sa voix dans la version française de son roman, quelle plus belle satisfaction pour son traducteur ?

Jean-Marie Saint-Lu, traducteur entre autres de Juan Marsé, Carlos Liscano, Jordi Soler, Alfredo Bryce-Echenique. Un père étranger paraît le 14 janvier aux éditions La Contre Allée (448 pages, 23 )

Jean-Marie Saint-Lu
Le Matricule des Anges n°219 , janvier 2021.
LMDA papier n°219
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