Gabrielle Wittkop, gothique reporter
On ne pouvait rêver meilleure publication pour célébrer le centenaire de la naissance de Gabrielle Wittkop. Vifs, frais, amusants, les inédits Héritages s’avèrent une sorte de voyage panoramique plaisant dans les écrits de Gabrielle Wittkop, une synthèse souriante – quoique très funèbre évidemment, un manuscrit laissé quasi achevé, un rare anachronisme ici ou là faisant foi de son état quasi final. Fragments de destins, coups du sort, maladies, sottises à qui mieux mieux, c’est une anthologie des façons de passer et de trépasser que ce livre, une fantaisie coiffée de sa couronne de cadavres sertie de descriptions, formules et sentences parfois délicieuses.
Plantons d’abord le décor, c’est la villa Séléné construite pour Célestin Mercier, un homme enrichi (mais pas assez) qui finit par se suicider à l’aide d’une corde à nœud sortie d’un petit sac noir sous les combles de sa maison. Le premier défunt est toutefois l’agent immobilier Adrien Tristemère, par trop cupide, un défaut que la démiurge vomit. Gabrielle Wittkop aime du reste brosser l’homoncule et le rentier tels qu’on les caricaturait au XIXe siècle, et l’on devine à certains plis les lectures d’Eugène Chavette ou de Courteline qu’elle fit sans doute jeunette (les noms amusants de ces personnages par exemple : Hyacinthe Labille et consorts). À partir du départ exemplaire de ces petits hommes, les inexorables engrenages du récit s’activent. En excitant notre intérêt par la variété des méthodes, ils broient les personnages les uns après les autres, victimes propitiatoires fournies par la romancière à la Mort, déesse sans miséricorde, comme la Vie sa jumelle. Tous y passent, tandis que la Marne aux reflets glauques charrie inlassablement ses cadavres. Que ferait-elle d’autre ?
Les Héritages est pour la monteuse de fictions un fil sur lequel elle fait parfaitement : enfiler les perles des destins sur le fil fatal des Parques, exterminant par accidents variés, maladies plus ou moins insolites – elles offrent l’avantage d’autoriser des descriptions coulantes ou breneuses –, rafles de la Gestapo, etc. Ne restera au fond qu’une interrogation : « Nul ne saura jamais si le petit sac de moleskine noire apparaissait quand il n’y avait personne pour le voir (…). On ignorera toujours aussi où s’en vont les spectres quand leur théâtre a disparu ».
Écrit avec une alacrité délicieuse, Les Héritages fonctionne au fond comme La Vie mode d’emploi de Georges Perec, à ceci près que l’évolution est chez Wittkop chronologique et non topographique. La villa vieillit avec ses propriétaires et locataires, chaque arrivée justifiant le récit de déboires meurtriers. La villa sera abattue elle-même et remplacée par un logis plus moderne. Car le temps passe, ce qui survient aussi dans le chef-d’œuvre de Bernard Malamud, Les Locataires, roman avec lequel se partage sinon un ton du moins une inévitable réflexion sur l’instabilité de la condition humaine, des sentiments et des humeurs. Toujours aussi...