Le 20 février 2013, devant la mairie de Varna, en Bulgarie, Pavel Goranov, photographe et alpiniste s’immole par le feu. Pour protester, pense-t-on, contre la corruption et plus généralement contre la politique de l’État. Il a 36 ans et n’a laissé aucune explication. Plusieurs personnes s’immoleront de la même manière et à la même époque. À partir de ce fait politique, Alexander Manuiloff construit un texte qui n’est pas une pièce de théâtre, mais plutôt une installation, une performance proposée au public. 63 textes courts, 63 lettres sont enfermées chacune dans une enveloppe et empilées, dans l’ordre, sur une table. Autour de cette table sont placées les chaises des spectateurs. Pas de comédiens, pas d’autres effets scéniques que ces enveloppes qui appellent le spectateur et l’interpellent. Car l’objet de la représentation est qu’un spectateur se lève et vienne lire le premier texte, suivi par un autre, et cela jusqu’au bout. Jusqu’au dernier texte qui se termine par ces mots : « On peut applaudir maintenant. Oui, On nous demande d’applaudir maintenant. Y a-t-il autre chose qu’on puisse faire ? »
Ces textes, rédigés à la première personne, pourraient être ceux que Pavel Goranov n’a pas laissés. Ils donnent une explication, un sens à son geste. Mais surtout ils sont là pour que le spectateur aille voir. Pour qu’il s’implique et s’engage. Pour que ces textes, adressés à tout un chacun, touchent immédiatement leurs cibles, sans passer par le truchement d’un comédien. Pour que les spectateurs deviennent réellement les porte-parole de Pavel. Le 19 février, la veille donc, Pavel Goranov avait annoncé son geste pour le lendemain à 17 heures. Il l’a fait à 7h30, sans que l’on sache pourquoi. Le texte de Manuiloff reprend cette histoire et nous place bien sûr avant le geste. Pavel s’y raconte, parle de choses et d’autres, de sa vie, de la vie. À l’instar de Jan Palach en Tchécoslovaquie ou de Mohamed Bouazizi en Tunisie, il pose la première pierre de la contestation et demande à ne pas rester seul. Alexander Manuiloff lui a répondu.
PGB
L’Etat
Alexander Manuiloff
Traduit de l’anglais par Nathalie Bassand,
L’Espace d’un instant, 84 pages, 11 €
Théâtre L’Etat, d’Alexander Manuiloff
septembre 2020 | Le Matricule des Anges n°216
| par
Patrick Gay Bellile
Un livre
L’Etat, d’Alexander Manuiloff
Par
Patrick Gay Bellile
Le Matricule des Anges n°216
, septembre 2020.