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Histoire littéraire Confession de la brute

février 2020 | Le Matricule des Anges n°210 | par Éric Dussert

Témoignage d’un homme torturé par sa sensualité et sa faiblesse de caractère. Notre lâcheté, Un roman retrouvé d’Alain Berthier.

Alors que fleurit sous les auspices de Bernard Pivot et de Josyane Savigneau l’épisode « littérature française » de l’opération #metoo – l’affaire Gabriel Matzneff en est la première étape (en attendant que se signalent ceux qui l’accompagnaient en Asie) –, la réédition par Le Dilettante du petit livre d’un quasi-inconnu vaut pour la pertinence de la proposition. « Je voudrais oublier mon passé. Je voudrais ne plus me retrouver, toujours, aux quatre coins de ma vie, avec cette tête que je déteste, avec cette allure, cet air veule que m’ont donnés mes éternelles capitulations. Je voudrais échapper à cette figure qui me condamne à l’isolement. À la bassesse. Et anéantir ce sourire ironique dont chaque désillusion a mieux fouillé le dessin. »
Son auteur s’appelait Alain Lemière (1901-1984). Il était l’ami de Louis Guilloux et de Jean Grenier, et a connu un parcours improbable dans les lettres, dirigeant par exemple la revue Bifur lors de ses derniers soubresauts avant d’abandonner toute illusion d’investir un jour le cercle étroit des grands écrivains. Modestie ou renoncement, ce repli ne fut que partiel. D’abord il publia Au Sans Pareil sous pseudonyme ce livre au format in-12, puis, après s’être esquivé du monde littéraire, donna encore chez Fernand Hazan quatre petits livres sur l’art japonais dans les années 1950 et sous son nom véritable.
En littérature, Alain Berthier est donc bien l’homme d’un seul livre. La lecture de Notre lâcheté explique cette rareté car le texte frappe par sa densité, par sa noirceur torturée et par son style jeté. Le jeune homme, qui n’était pas encore trentenaire, y décrivait ses abandons moraux, ses lâchetés répétées, ses enlisements et son mécontentement de lui-même. Il décrivait en outre ses sales agissements vis-à-vis de sa femme (choisie grosse et laide), tout en en portant le poids, perpétuel Sisyphe maltraitant et se torturant. « Je sais maintenant que je suis limité par moi-même de toutes parts. Je suis en prison dans mes tendances, dans la vie que j’ai vécue. On n’est borné que par soi. Je tenais déjà tout entier dans le premier baiser que j’ai donné. » Et, on l’a compris, il ne donne pas que des baisers.
Cet « Homme sans qualités » et sans gaieté se jetait avec sa littérature parcimonieuse mais directe comme la justice contre la « corne du taureau » désirée par Michel Leiris, cette mise en danger procurée par la confession – de son abjection en l’occurrence. La question traverse toute l’époque : on songe aux interrogations de Luc Dietrich, à Camus, à Impossible d’être abject du romancier résistant Roger Rabiniaux (Buchet-Chastel, 1958 ; rééd. Phébus, 1998), qui connaissait bien les turpitudes de l’Occupation, et à ce texte bien connu de Marcel Jouhandeau qui s’était épanché un peu après Berthier dans De L’abjection (Gallimard, 1939 ; rééd. 2006)… Notre lâcheté est le récit d’un homme qui se sait frappé depuis longtemps par la malédiction de sa faiblesse de caractère : « Le meilleur moment de ma vie : l’école maternelle. J’étais fort. Je tyrannisais tout le monde. (…) Je fus tout de suite malheureux au collège. Tous les enfants se mirent à torturer de mille façons le petit solitaire farouche et gauche qui ne se mêlait pas à leurs jeux et qui ne savait pas imposer le respect (…) Oh ! les images qui passent dans l’imagination d’un enfant de dix ans, sensible et violent, enfermé dans des cabinets qui puent, pour fuir ses persécuteurs ; et recroquevillé contre la porte, pour éviter les cailloux qu’on lui lance par les losanges dont elle est percée ; et la bouche contre une fente pour respirer un peu d’air pur ! (…) Et il y eut encore la puberté. »
Élaborant chacune de ses phrases comme une sentence, Alain Berthier donna à son récit la netteté d’une opération clinique, procurant à son enlisement des effets plus douloureux encore. Ce désespéré, qui pourrait être le grand frère d’Adolphe Marlaud, le narrateur de La Grande Vie amant d’une concierge repoussante, reste terriblement lucide, sans jamais pouvoir bénéficier pour sa part du baume de l’humour sardonique de Jean-Pierre Martinet. Lui restent sa faiblesse, sa violence, la haine de Paule et tant de jours à vivre encore…

Éric Dussert

Notre lâcheté, d’Alain Berthier
Préface de Ghislain Pierre,
Le Dilettante, 125 pages, 15

Confession de la brute Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°210 , février 2020.
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