En 473 le dernier empereur romain dépose son pouvoir aux pieds d’Odoacre, un roi barbare, signant la fin d’un empire. La peste et le petit âge glaciaire du Ve siècle achèveront le travail en laminant la population et la civilisation des Césars. Il est permis cependant de rêver. Car nous sommes en l’an 1203 de l’histoire romaine, soit 450 de notre ère, et, si les Barbares menacent, ils sont bientôt repoussés et vaincus : « Les guerres nordiques de Maximilianus III se soldèrent par un franc succès. Rome n’aurait plus jamais à se soucier d’invasions barbares à l’avenir ». Il en est de même en 1365, alors que l’Histoire réelle a définitivement signé l’éradication du monde de Virgile et Cicéron. Et c’est toujours ainsi que le monde fonctionne, à peu de chose près, en 2723, quoiqu’il s’agisse d’une « Seconde république ».
Organisé en une dizaine de séquences, de siècle en siècle, le roman va de personnages en personnages, le plus souvent dans les cercles du pouvoir, dressant à chaque fois de saisissants tableaux. Alors que le vieil empereur se meurt, que son successeur paraît incompétent, un opportun accident de chasse élimine ce dernier, au bénéfice de Maximilianus, qui préférait pourtant faire visiter les bas-fonds de l’Urbs à un ambassadeur grec : ce sont des commerces de pharmacopées animales étranges, des orgies dans le temple de Priape, un devin particulièrement sagace quant au destin de l’Empire. Ce dernier, n’en doutons pas, réussira bientôt à conquérir le nouveau monde, « au-delà des colonnes d’Hercule ».
Prospérités et accidents de l’Histoire, comme « le règne de la Terreur », jalonnent le vaste récit, sans que Rome soit réellement menacé. Néanmoins, en 2723, alors qu’affluent en Egypte les « touristes romains ou nippons », un érudit prétend achever un manuscrit relatant « la chute de l’empire romain ». Cette réincarnation de Gibbon se voit contrainte de rédiger un nouvel « Exode », car un certain « Moshe » a l’ambition de réussir là où les Juifs noyés ont échoué des millénaires plus tôt, en projetant son peuple vers « le nouvel éden qui nous attend sur une autre planète », au moyen de l’« Exodus »…
Le plus remarquable héros de cette Roma Æterna est peut-être le frère de sang de l’empereur Julianus, Horatius, exilé pour expier ses « regrettables péchés » en « Arabia Deserta ». Il y découvre la fournaise de la laide « Macoraba », alias La Mecque. Un riche marchand, nommé « Mahmud », intrigue et fascine par son charisme, en prétendant qu’existe un dieu unique, en prêchant l’union des « guerriers d’Allah à travers le monde, incendiant le cœur des hommes avec la nouvelle croyance ». Comment retrouver les grâces de l’empereur, sinon en supprimant un tel danger pour Rome ?
Pas de christianisme, comme dans Ponce Pilate, le roman de Roger Caillois, dans lequel le gouverneur romain gracie Jésus ; pas d’islam, mais un polythéisme tolérant et divers. L’on se doute que les destinées du monde en eussent été diamétralement changées : moins de béatitudes, mais aussi moins de tyrannies, malgré le joug romain. C’est avec un sens du récit dramatique et coloré que le romancier excite l’imagination du lecteur.
Robert Silverberg, auteur de science-fiction américain, né en 1935, est également un maître de l’uchronie. Son impressionnante fresque romaine, qui témoigne d’un solide travail documentaire et d’une subtile capacité d’égrener de riches allusions culturelles, dans le cadre de ce que l’on pourrait appeler un roman post-historique, n’est pas unique en ce domaine. Dès lors, l’on n’a qu’une envie : se plonger parmi les pages de Shadrak dans la fournaise. Après une éruption volcanique cataclysmique en 1991, suivie de pléthore de guerres, la planète entière plie sous le joug de « Gengis II Mao IV Khan », dont le médecin, Shadrak, prétend conserver la jeunesse éternelle…
Thierry Guinhut
Roma Æterna, de Robert Silverberg
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Marc Chambon,
Robert Laffont, « Pavillon poche », 544 pages, 11,50 €
Domaine étranger Histoire parallèle
novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208
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Thierry Guinhut
Quand une uchronie postule que l’empire romain est toujours vivant.
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Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°208
, novembre 2019.