Antonio Pennacchi nous prévient dès l’avant-propos : « qu’il soit bon ou mauvais, ce livre est la raison pour laquelle je suis venu au monde ». Le parcours atypique de ce dernier, ouvrier pendant trente-cinq ans venu à l’écriture après son licenciement, et notamment sa famille, installée dans les marais Pontins, au sud de Rome, par les fascistes, inspirent son œuvre romanesque. De la dizaine d’ouvrages qu’il a publiée depuis 1994, Canal Mussolini se détache, faisant figure d’aboutissement à la fois littéraire et personnel. Ce roman narre le quotidien sur trois générations d’une famille relativement misérable de métayers qui est « transplanté(e) comme une armée biblique » avec 30 500 paysans du nord de l’Italie au cœur de l’Agro pontin, afin d’y assécher les marais et d’y bâtir un pont en l’honneur de Mussolini. Deux caractéristiques majeures distinguent les Peruzzi : leur nombre (« Comment ? Combien étions-nous ? Une multitude. ») et leur colère (« la fureur était une tare de la famille »). Deux attributs qui sont à l’origine de péripéties multiples, enchâssées les unes dans les autres. Il y a par exemple la réparation de la herse de la grand-mère par un certain Benito Mussolini et le tabou amoureux qui s’ensuivit, le voyage à vélo jusqu’à Rome entrepris par les oncles Pericle et Temistocle afin de solliciter Rossoni, le bras droit du Duce, les prédictions toujours justes des abeilles élevées par la femme de Pericle, Armida…
Autant d’événements qui, liés à l’histoire politique italienne, soulignent la transition charnière à l’œuvre dans le pays : « avant, il y avait eu le monde d’avant, caractérisé par le désordre, l’injustice et le mépris général envers l’Italie ; une nouvelle ère s’était ensuite ouverte, ère où le nom de Rome triompherait et imposerait la paix dans le monde entier ». Mais les Peruzzi sont les spectateurs impuissants de ces grands changements. Le biennio rosso, qui de 1919 à 1920 met l’Italie à feu et à sang, le quota 90, cette réévaluation de la lire italienne qui provoquera une déflation désastreuse et enfin l’exode forcé de milliers de paysans sont des épisodes sombres qui écrasent leurs destins, les acculant jusqu’au domaine n°517 des marais Pontins. La narration de Canal Mussolini, secouée de questions oratoires, de patois (« qu’est-ce qui t’est monté au ciboul ? »), d’apostrophes, de scansions et de néologismes (« les tomates d’aujourd’hui sont bien meilleures, elles sont moderneuses et elles sont fascisteuses ! »), donne vie à tous ces personnages héroïques, amoureux et révoltés. Le pronom « nous », employé d’un bout à l’autre du récit, cache jusqu’à la toute fin l’identité de celui qui raconte, laissant planer un mystère de plus sur la fantasque tribu des Peruzzi.
Entre saga familiale, chronique antifasciste, farce loufoque et roman d’aventures, Antonio Pennacchi livre donc avec Canal Mussolini une œuvre fantaisiste et sensible, que l’on devine empreinte de souvenirs personnels.
Camille Cloarec
Canal Mussolini, d’Antonio Pennacchi
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer
Liana Levi, « Piccolo », 552 pages, 13 €
Poches Les abeilles et la guêpe
juillet 2019 | Le Matricule des Anges n°205
| par
Camille Cloarec
Canal Mussolini dépeint avec verve les désillusions de l’Italie du Duce.
Un livre
Les abeilles et la guêpe
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°205
, juillet 2019.