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Domaine étranger La fureur de vivre

mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203 | par Thierry Guichard

Le roman halluciné de Laird Hunt nous plonge dans la moiteur estivale de l’Indiana en 1930, alors qu’on s’apprête à lyncher trois jeunes Noirs. Un livre monumental et incandescent.

La Route de nuit

Le 7 août 1930 à Marion dans l’Indiana, trois prisonniers noirs sont sortis de prison par la force, violentés par une foule de Blancs extatique venue les lyncher. Deux seront pendus à un arbre au pied duquel les femmes en robe d’été, les hommes en chemise et cravates vont faire la fête toute la nuit. C’est à partir de cet événement, cette ombre portée à l’histoire des États-Unis, que Laird Hunt a composé La Route de nuit, un roman d’une puissance rare.
On va suivre trois femmes lors de cette journée terrible du 7 août : la rousse Ottie Lee, d’abord, Calla Destry une jeune orpheline de 16 ans et Sally Gunner qui, depuis son accident, voit les anges. Les trois se croiseront, mais on ne le saura qu’une fois le livre achevé. On entre de plain-pied dans l’histoire avec la truculente Ottie Lee, femme d’une énergie salvatrice au caractère de feu. Courtisée par son patron et amant, l’assureur Bud Lancer aux mains baladeuses et à la carrure impressionnante, mariée à Dale qui semble s’être épris d’une truie qu’il engraisse, elle accepte de partir en voiture avec ces deux-là et un troisième lascar, Pops, trouvé sur la route. Leur destination : Marvel où le lynchage de trois Noirs (trois « fleurs de maïs ») est annoncé pour la grande joie des Blancs (« soie de maïs »). Toute la ville est excitée, la fête promet de durer la nuit entière, l’air est saturé de chaleur et les hommes ont soif : Ottie Lee n’a pas le choix. Et nous voici, avec elle qui raconte des années plus tard la longue nuit, embarquée dans une errance aux accents mythiques où rien n’ira comme prévu.
Ce sont d’abord deux chiens portant cravate croisés au détour d’un virage qui obligent Bud Lancer à donner un fatal coup de volant. L’automobile sort de la route, file « dans les secousses, le bruit de branches mouillées du métal froissé et l’odeur de caoutchouc brûlé », perd un pneu, s’immobilise enfin, épave inutile désormais. Les quatre passagers se retrouvent seuls au bord de la route et leur errance vers Marvel va les conduire de rencontres en rencontres, de détours en détours et d’ivresses en ivresses au plus profond d’une nuit tissée d’alcool, de sexe, de religion, d’amour et de mort. Chaque personnage rencontré sur ce chemin nocturne semble le gardien d’une révélation, du gamin « fleur de maïs » à vélo à la jeune femme armée d’un revolver qui constituera la dernière image livrée par Ottie Lee. La gouaille enfiévrée de la rousse pulpeuse nous sert ici de caméra pour explorer une Amérique profonde dont les fêlures sont autant de secrets que chacun porte en soi, profondément enfouis sous la carapace rutilante de celui qui veut donner l’illusion d’avoir réussi. Les dialogues font mouche, la langue de Laird Hunt s’affranchit du confort du lecteur, elle va vite, ose des métaphores alambiquées, puise à l’argot et à la langue populaire, et nous plonge ébahis dans la moiteur d’un mois d’août dans l’Indiana. Ottie Lee et les trois lascars croiseront sur leur route l’illuminée Sally Gunner, celle qui voit des anges et sourit à tout le monde. Elle se dirige vers un rassemblement de « soie de maïs, fleurs de maïs et racines de maïs » qui veulent prier pour ceux que l’on va bientôt lyncher. Ils rencontreront aussi une famille de « fleurs de maïs » sur un chariot tiré par un âne, qu’ils réquisitionnent pour tenter encore d’atteindre Marvel avant le terme de la fête.
On ne le sait alors pas encore, mais ils rencontrent ainsi Calla Destry, puisque Calla Destry est une noire et qu’elle vient de quitter Marvel après y avoir défié le démon lui-même. C’est elle, l’adolescente libre et rageuse, qu’on suit désormais, depuis le pique-nique amoureux où elle s’est retrouvée seule jusqu’à la course-poursuite qui la verra lancer la voiture qu’elle conduit contre un convoi de bus qui roulent vers Marvel pour participer au lynchage. Calla Destry est une héroïne, une adolescente qui choisit la liberté du refus plutôt que la fuite. Femme droite et entière, elle ressemblerait presque à Ottie Lee, quelques années en moins, un passé en commun, et un secret, elle aussi, chevillé au corps. Le roman, imperceptiblement, fait une boucle, une ronde à la Schnitzler augmentée d’une odyssée qui pourrait être celle du genre humain. Et malgré les aspérités de la traduction, le livre achevé, on le relit. Pour ne pas quitter Ottie et Calla. Et rester en vie.

T. G.

La Route de nuit, de Laird Hunt
Traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut,
Actes Sud, 284 pages, 22

La fureur de vivre Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°203 , mai 2019.
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