Parendre le contrôle de l’esprit d’autrui. Scientifiques, militaires, politiques, religieux, financiers s’y emploient depuis des siècles. Mais pénétrer dans un cerveau incontrôlable et filmer, ce que le dément voit, fait et ressent ? Le jour de la Sant Jordi, un 23 avril, les Catalans s’offrent livres et roses avec amour et ferveur. Un homme s’approche du stand de dédicaces de Gabi Martínez, écrivain aventurier et d’investigation, auteur de cinq ouvrages dont l’Histoire vraie de l’homme qui cherchait le yéti traduit en français (Autrement, 2013). Mi-goguenard, mi-énigmatique, l’homme se présente comme fou à lier et accessoirement neurologue, spécialiste des maladies auto-immunes. Il lui propose d’écrire son histoire. Après avoir subi un stress énorme lié à un harcèlement au travail, il intègre un hôpital psychiatrique en janvier 2006. Mal pris en charge dans sa maladie, il végète toute une année. Son état s’améliore, il reprend une vie normale. En pressentant une nouvelle crise, il se rend compte qu’il est porteur d’une maladie extrêmement rare qu’il a lui-même étudiée… En contrefort à cette vertigineuse descente aux enfers, Gabi Martínez décrit l’évolution du socio-politique et de l’intime en Espagne, plus particulièrement à Barcelone des Jeux olympiques de 1992 à nos jours. Transition démocratique, libéralisme effréné, crises économiques, corruption et bien entendu système de santé. D’une rare ambition, d’une insolente modernité, Les Défenses porte un souffle épique long, mélancolique et généreux.
« J’allais trop vite. Très bien. J’accélérai. Je n’entendais que mes pas et ma respiration, regardant le sol sans le voir, me débarrassant d’idées grossières qui, par chance et en raison du manque d’oxygène, n’arrivaient pas à se déployer dans toute leur splendide idiotie. Comment pouvais-je être si mal ? Si mal dans tous les sens du terme. »
Écrivain voyageur, figure du nouveau journalisme littéraire espagnol, qu’a changé pour vous l’écriture des Défenses ?
J’ai grandi à l’Hospitalet, à la périphérie de Barcelone, et je me souviens de la première fois où je suis allé au centre de la métropole comme d’un moment éblouissant. J’ai senti que je connaissais très peu cet endroit. Quand, après, j’ai commencé à écrire, j’ai continué à me sentir trop ignorant des mécanismes internes de cette partie de Barcelone, des motivations, des frustrations et des espoirs des gens qui y vivaient. De la bourgeoisie, en fin de compte. Mon père était peintre en bâtiment, travaillait dans ces maisons et nous racontait des anecdotes sur ces gens, il décrivait des espaces, des scènes trop lointaines ou trop fragmentaires comme si elles appartenaient toujours à un autre monde.
Je voulais écrire sur Barcelone, mais je manquais de connaissances et de voix que j’aurais aimé avoir, et c’est pourquoi j’ai orienté ma carrière en voyageant. Pendant près de vingt ans, j’ai cherché hors de chez moi des histoires quotidiennes d’individus et de...
Entretiens Prise de tête
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Dominique Aussenac
Le monumental roman de l’écrivain barcelonais Gabi Martínez, Les Défenses, plonge au cœur de la folie d’un homme censé la soigner. Vertigineux, haletant, vivant.
Un livre