Figure oubliée des années agit-prop, Jack Thieuloy (1931-1996) est un écrivain que l’on ne lit plus guère – il a pourtant défrayé la chronique en suivant son destin jusqu’à la prison… Lui et son pair Jean-Edern Hallier ont fait un tour devant les caméras et se sont définitivement tus, frappés sans doute par le silence qui règne au-delà du Styx. Avant le trépas, qu’ils auront trépigné tous les deux ! Ils avaient été associés dans la lutte contre l’establishment des années 1970. Avec François Coupry et quelques autres, ils avaient fondé le « Gicle », une association clandestine de lutte contre les prix littéraires. Fort du succès de son premier vrai-faux récit de voyage en Inde avec cannibalisme et sexualité exotique – L’Inde des grands chemins (1971) dont Gallimard rêvait de faire un nouveau Papillon –, Jack Thieuloy avait trouvé malin de jouer à l’écrivain maudit en vitupérant les institutions dominantes, en lançant des cocktails Molotov et en menaçant Françoise Mallet-Joris ou Michel Tournier.
Manuscrit resté en carafe dans les archives Thieuloy de la Société des gens de lettres défrichées par Suzanne Bernard, Un écrivain bâillonné est le récit hirsute que l’écrivain-repris de justice a produit en guise d’autojustification. Sans convaincre grand monde. Pour servir à l’intelligence des marges cocasses de la fin du siècle passé, l’universitaire Olivier Bessard-Banquy a fait annoter ce texte bravache dans la collection « L’indéfinie » où sont mis en montre des « mal normés » du siècle passé (Alex Scouffi, Pierre Goldman, etc.).
Finalement, quand bien même on apprécie certains des livres de Jack Thieuloy, plume singulière à coup sûr, ce plaidoyer pro domo est embarrassant, même s’il est drôle parfois. Thieuloy s’y montre le « misanthrope rêvant de gloire » – type qui rejoint volontairement la cohorte des ratés de l’histoire littéraire. Pis encore : il servira désormais de support à notre connaissance d’un moment pitoyable de l’après-1968. Preuve que l’ambition et la gesticulation ne font pas un Céline.
Éric Dussert
Un écrivain bâillonné, de Jack Thieuloy
Séguier, 248 pages, 20 €
Domaine français Cocktails littéraires
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Éric Dussert
Un livre
Cocktails littéraires
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°203
, mai 2019.