Plusieurs citations introduisent le texte. Une de Pierre Bourdieu : « Il y a beaucoup d’intellectuels qui mettent en question le monde ; il y a très peu d’intellectuels qui mettent en question le monde intellectuel. » Une autre de Klaus Mann : « Le succès, cette sublime, irréfutable justification de toutes les infamies. » Samuel Gallet nous livre un texte politique, une grande fresque aux nombreux personnages, la plupart liés au milieu théâtral. Il y a ainsi des comédiens d’un théâtre de province. De Balbek plus précisément, en référence à la ville imaginée par Proust. La pièce leur est d’ailleurs dédiée « Ils et elles se reconnaîtront. » Et ceux d’un autre théâtre, plus prestigieux, situé dans la capitale. Il y a bien sûr un critique redouté, puis un homme politique d’extrême droite. La pièce se situe dans une période d’élections qui voit le parti nationaliste arriver au pouvoir. Le projet de départ du metteur en scène Jean-Pierre Baro était de demander à Samuel Gallet une adaptation de Mephisto de Klaus Mann, pièce qui tourne autour de la figure de l’acteur Gustaf Gründgens (il se ralliera au Troisième Reich) avec qui Klaus Mann avait eu une liaison. Samuel Gallet s’inspire donc de la vie de Klaus Mann, en créant le personnage d’un jeune acteur d’aujourd’hui prêt à tout pour arriver à être connu.
L’écrivain pose la question de ce que peut le théâtre dans ces temps troublés. Faut-il mieux monter un classique, un Tchekhov par exemple, comme un reflet de l’impuissance de notre temps. Ou bien partir au contact des gens et rendre compte des luttes sociales ? Il évoque l’entre-soi du monde du théâtre qui ne prêche le plus souvent que pour des gens convaincus. Interroge les liens que le théâtre entretient avec le pouvoir politique. Comment il se bâillonne et se censure lui-même dans les sujets abordés. La pièce questionne aussi le besoin de reconnaissance qui conduit à accepter toutes sortes de compromissions. Le texte est âpre, percutant, violent par moments. Il y a quelque chose de salutaire dans ce miroir tendu, au risque que le texte reproduise parfois à son tour un peu de ce qu’il dénonce.
L. C.
Mephisto rhapsodie, de Samuel Gallet
Éditions Espaces 34, 180 pages, 17 €
Théâtre Mephisto rhapsodie, de Samuel Gallet
mai 2019 | Le Matricule des Anges n°203
| par
Laurence Cazaux
Un livre
Mephisto rhapsodie, de Samuel Gallet
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°203
, mai 2019.