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Domaine français Dans la fraîcheur de l’écart

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Richard Blin

Avec L’Ivraie, un roman joyeusement subversif, c’est une sorte de Nausée antimoderne qu’a écrit Bruno Lafourcade.

Ils font du bien, de temps en temps, les romans qui n’évacuent pas le réel et mettent en scène un héros qui ose être lui-même. C’est le cas de L’Ivraie, un roman contant les tribulations de Jean Lafargue, un écrivain méconnu et désargenté qui accepte au pied levé un remplacement dans un lycée professionnel de la banlieue bordelaise. Il a 50 ans, pèse un quintal, exhibe des moustaches à la gauloise, boit beaucoup de camomille et pas mal d’armagnac. Il a travaillé dans la publicité, dans quelques journaux, a publié des livres qui n’ont pas eu de succès, a animé des ateliers d’écriture – « l’équivalent du karaoké pour l’art lyrique ». Un être, donc, qui a une perception littéraire du monde, une approche passionnée et passionnelle de la réalité humaine, et qui, en peintre intransigeant des mœurs de notre temps, va porter un regard implacable sur le discours et le fonctionnement de l’Éducation nationale tout autant que sur l’évolution de notre société.
Chargé d’enseigner le français et l’histoire-géo, notre professeur novice découvre un milieu où l’euphémisme règne, où pèse l’ennui et où l’arrogance croît avec l’idiotie. Il décrit, non sans humour et ironie, des élèves indifférents ou hostiles à la langue et à la culture française. « Ils ne sont même pas incultes, c’est pire : ils ont l’air de naître, de n’avoir jamais rien appris. » Il est effrayé par la langue invertébrée, brutale qu’ils parlent et qu’ils écrivent : « Même pas je le veux ! » Leurs phrases totalement déstructurées, lui évoquent « des pieds de tomates détuteurés, qui auraient grandi dans un chaos de subordonnées sans principales, de principales sans verbes et de verbes sans sujets, avec un quoi omniprésent (« T’as dit quoi ? »). » Ils écrivent comme ils se tiennent, dans un état proche de l’avachissement physique et moral. « Vous comprenez ce que vous lisez ? » – « Ben non, puisque je lis… Je peux pas faire tout en même temps ! » Des élèves qui le fascinent autant qu’ils l’exaspèrent mais avec qui parfois peuvent se nouer des liens comme avec Noria, une élève dont l’intelligence a suscité l’hostilité de ses camarades. Des élèves qui ne sont qu’en partie responsables. « Naguère, on étudiait les écrivains en expliquant leur art et leurs idées ; aujourd’hui on partait de ses propres idées, c’est-à-dire de ses préjugés. » Sans parler de la désacralisation du livre – « Un jour, à la place des bibliothèques, des livres et du silence, il y eut des médiathèques, des documents et du bruit. » –, de la démagogie du personnel enseignant, et de toutes les dérives paranoïaques véhiculées par le complotisme ou le conspirationnisme.
Mais il fait face, notre amoureux des mots. « Il était ainsi fait qu’il préférait un mot cruel à un silence épais. » À ses collègues qui pensent tout ce qu’il faut penser, à ses camarades retrouvés, il dit ce qu’il pense : qu’il préfère la vérité à l’illusion, que ce n’est pas en étouffant de moraline les lycéens qu’on les convaincra ; que l’on a eu tort d’abandonner la culture rhétorique qui aide à penser et à créer, qu’il est particulièrement jouissif de faire corriger par Noria les fautes de français qui émaillent les articles de Josyane Savigneau, dans Le Monde. Qu’il se sent exilé dans sa propre langue, que l’écriture qu’il pratique est « un art mort dans une langue morte ». Qu’il revendique sa singularité contre toutes les restrictions de l’universel politico-éthique, qu’il n’est pas un approuveur de la société comme elle va. C’est dire que ce roman est aussi un roman sur un autre mode de voir et de sentir. Un roman qui plaira à ceux qui veulent du mordant et du paradoxe, qui n’aiment lire, comme Kafka, que des livres qui « mordent » et « piquent ».

Richard Blin

L’Ivraie, de Bruno Lafourcade
Léo Scheer, 324 pages, 21

Dans la fraîcheur de l’écart Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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