Ce sixième livre de Pierre Chappuis pour la série « En lisant en écrivant » s’inscrit naturellement dans l’esprit du carnet de notes qui, de Chamfort à Jaccottet, ou Ludwig Hohl, illustre une part non-négligeable de l’activité de l’écriture moderne. Ceux que Pierre Chappuis a publiés, et ce dernier n’y échappe pas, mêlent la note succincte, réduite parfois à une ligne : « je me présente : la forme pronominale dit tout », à de courts développements réflexifs aux titres brefs (« Feuillets à part », « Ponctuation », « Le génie du soupçon »). L’ironie et la méfiance que Chappuis porte à l’usage de la première personne du singulier se développent ailleurs par l’exposition d’un rapport imaginable entre un « je » qui appellerait son « tu », mais il est suggéré au prix d’une opposition à tout égotisme. L’écho à André du Bouchet (« écrire au plus loin de soi ») ne manque pourtant d’appeler la fameuse phrase de Rimbaud (« Je est un autre »), et Pierre Chappuis expose là le double lieu que la tâche de la poésie peut encore incarner.
Dans « Jaillir » (Ligatures), le surgissement du poème est comparé au jet de salive, prosaïquement vu comme cet autre nouage possible entre l’écriture et le corps : « D’un sentiment d’adhésion immédiate au monde jaillit – ou ne jaillit pas – le poème, bref, net, précis ainsi qu’un jet de salive ». La flamme surgie à force de battre le briquet à pierre, tel est le sens du titre du livre principal, est placée presque logiquement sous l’égide de Joubert dont « la mobilité de sa pensée faisant au fil des ans retour sur soi, pour se préciser de nuances en détours, varier ses parcours – “Achever ! Quel mot !” –, s’interroge sans relâche sur les mots, la lecture, les livres, le langage poétique ». Le rapport avec une lettre de 1995 revenant sur la question des manuscrits (au temps des études génétiques) révèle un auteur préférant « ne pas laisser de trace du poème en train de se faire », se débarrassant et de toute antériorité et de toute sacralité, pour laisser seul ce « mener à chef » du poème dont le lecteur aura à être le passeur.
E. L.
Battre le briquet (précédé de) Ligatures, de Pierre Chappuis
Corti, 172 pages, 18 €
Poésie Battre le briquet (précédé de) Ligatures, de Pierre Chappuis
juillet 2018 | Le Matricule des Anges n°195
| par
Emmanuel Laugier
Un livre
Battre le briquet (précédé de) Ligatures, de Pierre Chappuis
Par
Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°195
, juillet 2018.