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Domaine étranger La possibilité du Nil

mai 2018 | Le Matricule des Anges n°193 | par Camille Decisier

Dans l’Égypte de Nasser, un jeune homme s’initie à l’amour, à la politique, mais surtout aux métamorphoses de son propre pays.

Les Cigarettes égyptiennes

On ne sait pas grand-chose de Waguih Ghali. Écrivain égyptien de langue anglaise, il est probablement né au milieu des années 1920 dans une famille pauvre, mais dont certains membres éloignés vivaient dans l’opulence : une ambivalence économique et sociale dont Ram, héros des Cigarettes égyptiennes (publié en français en 1965) et double manifeste de l’auteur, subit lui aussi les lourdes conséquences. Issu de l’une des meilleures familles coptes mais complètement désargenté, Ram passe le plus clair de son temps à mendier auprès de ses amis ou parents plus fortunés de quoi maintenir son appartenance à la jeunesse dorée du Caire. Expulsé un an auparavant d’Angleterre, où il faisait ses études, pour avoir frappé un policier pendant les événements de Suez, il oscille en permanence entre l’admiration pour ce pays qui lui a légué ses cocktails, ses clubs, sa musique et ses salles de billard, et la haine envers la domination anglaise dont Nasser vient tout juste de se défaire.
Rappelons le contexte : nous sommes au Caire à la fin des années 50 ; le pays tente de se libérer du joug économique, politique mais surtout culturel que l’Angleterre lui impose toujours. Dans ce contexte de guerre froide, dans le sillage de la révolution nationale qui proclama l’abolition de la monarchie et la lutte contre l’impérialisme, la jeunesse égyptienne élevée à l’occidentale a perdu tous ses repères. Un dérèglement symbolisé par l’hésitation constante de la langue : dans l’entourage de Ram, on parle anglais, ou bien un égyptien largement mâtiné de français ; son cousin Mounir se fait appeler « Moony » ; tous expérimentent un sentiment d’étrangeté dans leur propre pays. « Le Caire et Alexandrie étaient des villes cosmopolites, non pas tant parce qu’elles étaient peuplées d’étrangers, que parce que les Égyptiens qui y vivaient étaient eux-mêmes étrangers à leur pays. » Pour Ram, le retour au bercail s’apparente plutôt à un nouvel exil. C’est en Angleterre qu’il est tombé amoureux et, dans le même élan, qu’il s’est initié à la politique : d’un côté, parce qu’il ne savait pas quoi faire de toutes les connaissances qu’il avait acquises ; de l’autre, parce qu’il voulait plaire à Edna, juive anglo-égyptienne richissime, image de l’idéal féminin, qui changea en conviction ce qui n’était qu’une posture, un mimétisme, un artifice de séduction : « C’est quand tu es partie brusquement, quand j’ai cru que je t’avais perdue définitivement, que ma colère envers la politique est devenue une réaction personnelle. » Mais, au Caire, les illusions de Ram s’écroulent d’un seul bloc : Edna, entre-temps, a épousé un juif communiste pour lui éviter la prison. L’organisation secrète dont Ram fait partie est impliquée dans une sombre affaire de photographies qui tourne au fiasco. Et sa mère est aux quatre cents coups : « - J’ai tout entendu, Ram. Tu t’occupes de politique. Je m’en doutais ! s’écria-t-elle. C’est la fin* ! Tu vas tous nous tuer. Mon Dieu ! Mon Dieu* ! »
Derrière le désœuvrement adolescent de Ram, qui traîne ses désillusions de bar en bar, s’assomme au whisky et joue au poker l’argent qu’on lui prête, se dessine le portrait d’une jeunesse égyptienne désorientée qui vécut la victoire de Nasser comme la perte d’une part de son identité. « Ces pelletées de boue que nous nous jetons à la figure et qui ne font qu’enterrer un peu plus profondément ces vieilles carcasses que nous sommes dans nos tombes… Nos tombes suspendues entre des civilisations superposées. » Ancré dans un contexte historique humainement violent, ce roman d’apprentissage porte les espoirs et les inquiétudes de son auteur qui, au cours de son long exil politique, vécut à Paris, Stockholm, Hambourg et Londres, finalement, où il se donna la mort le 5 janvier 1969, dans l’appartement de son amie et éditrice Diana Athill. Dans une postface inédite, celle-ci donne quelques clés pour mieux cerner la personnalité volontairement nébuleuse de Waguih Ghali, auteur d’un unique livre, et d’un livre unique.

Camille Decisier

Les Cigarettes égyptiennes, de Waguih Ghali
traduit de l’anglais par Élisabeth Janvier
L’Olivier, 250 pages, 15,90

La possibilité du Nil Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°193 , mai 2018.
LMDA papier n°193
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