Il était possible de voir, il y a déjà quelques décennies, dans certaines pages du Nouveau Roman, dans leurs longues et méticuleuses descriptions objectives (Gérard Genette et la narratologie parlent alors avec justesse de pause), l’équivalent du ralenti cinématographique – et certains disaient s’y endormir. Mais l’inverse, l’accéléré donc, ne semblait pas, en littérature, avoir été tenté. Une attention extrême portée aux mots, la délicatesse des notations descriptives ou psychologiques, l’usage adéquat de l’ellipse, un dosage savant des types de discours, le jeu sur les narrateurs, ce sont là quelques-uns des outils maniés par l’auteure pour écrire ces « romans 7 minutes ». La quatrième de couverture les présente ainsi : « Si le roman est un marcheur, le roman rapide est une danseuse, il termine sur pointe. (…) Chacun de ces récits se hâte vers sa fin, sa chute, sa résolution s’il y a mystère, son dénouement s’il y a intrigue, et résonne en tombant plutôt qu’il ne meure ».
Seize récits donc, le plus court d’à peine dix pages, le plus long d’une vingtaine, seize récits dont les titres annoncent la diversité, et les surprises qui nous attendent, qu’ils nous promettent : « Un héritage de Blanchot », « J’ai engagé un tueur à gages », « La machine résurrectionnelle », « Le sari rose et blanc ». Quelques-uns sont d’astucieuses mécaniques narratives, capables de mettre en scène, en un espace si réduit, des péripéties successives et même des coups de théâtre. Un romancier, coupable autrefois d’un viol, n’hésite pas à écrire sur un sujet presque semblable, mais se voit poursuivi par des accusations de plagiat dans lesquelles il soupçonne un complot… Une femme engage un tueur à gages pour qu’il la tue – mais ce suicide ainsi ordonné et payé n’aura pas lieu… D’autres s’aventurent, disons, du côté de Borges. Un mafieux désireux d’échapper à la police usurpe l’identité et même, grâce à un chirurgien esthétique à ses ordres, le visage d’un homme quelconque (mais qui lui-même ressemble à Vincent Lindon !). Quand ce dernier (l’homme quelconque et non Vincent Lindon) est arrêté, pris pour l’autre, il décide de mettre en œuvre une vengeance machiavélique, et l’on ne sait plus vraiment alors qui est le double de l’autre. D’autres récits, enfin, se concentrent sur un moment particulier, un épisode marquant d’une existence. Il en est ainsi du premier et du dernier, dans lesquels Natacha Michel évoque à mots couverts, murmurés chuchotés, son père. « La table » ressuscite ces moments pendant lesquels, enfant, elle se réfugiait sous la table où le père, lui, travaillait, écrivait. C’est bien la « modestie du passé » et son bonheur qu’elle retrouve alors. La « Promenade de Simone » raconte comment Simone, âgée de 8 ans, demande à son père de fuguer avec elle. Celui-ci refuse, bien sûr, mais elle part tout de même, au matin d’une belle journée d’été, et force ainsi son père, partant à sa recherche, à retourner sur ses propres pas, dans ce maquis où, en 1941, il avait fait le choix décisif de la Résistance.
Sans doute le thème commun à ces récits, coulant de l’un à l’autre comme une rivière souterraine, ressurgissant parfois puis disparaissant de nouveau, est-il le temps, celui qui nous fait mûrir puis mourir, celui qui nous fait aimer puis souffrir la perte de ceux que nous avons aimés. Le temps de l’attente, le temps de la nostalgie, le temps du désir, le temps de l’amnésie, « offrande fantastique », ou celui de la « faculté fatale d’inoubli »… Une femme a refusé autrefois à un ami, photographe reconnu, de faire son portrait – trente après elle accepte mais fera en sorte qu’apparaisse une « marge de cheveux blancs », « bord nacré de l’âge ». « Le photographe perdait sa bataille contre le temps. Celui-ci n’était pas vaincu, il était marqué, et cette marque était celle de la vieillesse. Le temps l’avait emporté. Non le plus expert des arts de l’image. Il tentait de se consoler de la photo tardive. La photo n’avait pas été un miroir, mais sa traversée. »
Thierry Cecille
Sortie de route, de Natacha Michel, Éditions Nous, 226 pages, 20 €
Domaine français Récits vifs
janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189
| par
Thierry Cecille
Natacha Michel invente le « roman rapide » : méditations, portraits, nouvelles en rêve – pour dire notre commune humanité fragile.
Un livre
Récits vifs
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°189
, janvier 2018.