Comme dans un tableau de Dalí, le monde de Bram, personnage central de ce roman fractal, se délite. Les lieux ont une situation géographique vacillante. Les êtres ne sont jamais ce qu’ils paraissent. Leur identité est mouvante, leur existence même, incertaine. Bram, qui menait une existence stable et rassurante, doit se rendre à l’évidence : depuis que la ville fond, rien n’est plus comme avant. Lui qui tentait de s’y rendre en bus, comme à son habitude, ne parvient plus à rejoindre la cité tant désirée. Tout concourt à démontrer que l’irruption de l’imprévu dans un univers monotone menace jusqu’à l’équilibre du monde. Une forme d’entropie littéraire que n’aurait pas déniée Kafka. Paradoxalement, l’angoisse de la situation semble glisser sur Bram, qui vit cette odyssée comme dans un rêve, avec une insouciance qui confine à l’ataraxie. Alors qu’une tempête fait rage, que des arbres volent devant sa fenêtre, l’antihéros lit son journal. Les notions de cercle, de cycles, d’éternel retour se retrouvent jusque dans la composition du texte, qui utilise parfois les chiasmes pour se jouer du sens de lecture et brouiller les points de vue : « Un mot de Bram indiquait qu’il était absent. Je suis absent – Bram, disait le mot ». L’usage des réalités alternatives impose l’idée que toutes ces péripéties ne seraient qu’une projection psychique. Bram en serait le démiurge, lui qui est sujet à « des crises qu’il expliquait mal ». Une hypothèse qui rend plausible la progression du récit vers une apocalypse surréaliste : « Depuis que la ville fondait, les visages des vivants étaient cousus à la va-vite sur ceux des morts ». D’une intensité croissante, cette épopée fantastique interroge aussi sur les liens qui unissent ou opposent le domaine urbain et la ruralité. Le premier, censé représenter la civilisation, devient chez Quentin Leclerc le siège des pires outrances : « La ville les avait découverts pour ne plus faire d’eux que de redoutables barbares ». Un paradoxe qui suscite la réflexion.
Franck Mannoni
La Ville fond de Quentin Leclerc
Éditions de l’Ogre, 200 pages, 18 €
Domaine français La Ville fond
octobre 2017 | Le Matricule des Anges n°187
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°187
, octobre 2017.