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Traduction Stéphanie Lux

septembre 2017 | Le Matricule des Anges n°186

Les Femmes sont des guitares (dont on ne devrait pas jouer), de Clemens J. Setz

Les Femmes sont des guitares (dont on ne devrait pas jouer)

L’hiver dernier, le Literarisches Colloquium Berlin organisait une soirée « Dans la tête de Clemens J. Setz », prodige littéraire autrichien à l’univers angoissant et aux images lynchiennes. Souvenez-vous : Clemens J. Setz, c’est ce jeune auteur qui fit des études de mathématiques avant de devenir écrivain, et se mettait en scène en prof de maths dans une école très spéciale dans son roman précédent, Le Syndrome indigo. Où les enfants atteints dudit syndrome causaient à leurs proches des troubles physiques aussi violents qu’inexpliqués.
Avant de lire son nouveau roman, que j’allais donc traduire, Die Stunde zwischen Frau und Gitarre, j’étais tombée sur un commentaire disant en substance : « une lecture insupportable, mais indispensable ». Voilà qui était très rassurant.
Alors bien sûr, il y est question d’un jeune stalker, Alexander Dorm, qui a fait basculer la vie de sa victime, Christopher Hollberg, quelques années auparavant. Bien sûr, l’histoire se passe dans l’institut médicalisé où vit le jeune homme, une probable vengeance tisse ses fils, et Natalie, la jeune auxiliaire-héroïne (héroïque), se perd dans l’arrangement qui lie le client à son ancienne victime et unique visiteur. Mais ce roman est avant tout férocement drôle et inventif, furieusement poétique, si bien qu’à lire cette sorte d’enquête que mène Natalie pour avoir le fin mot de l’histoire, les possibilités de l’esprit semblent infinies, littéralement en expansion.
À Berlin, ce soir-là, en guise d’introduction à ce qui lui passait par la tête, Clemens J. Setz nous avait confié son remède quand il n’arrivait pas à s’endormir : il écoutait les enregistrements d’astronautes en orbite autour de la Lune, décrivant minutieusement ce qu’ils étaient en train de faire à bord de leur module spatial : vérification du bon état de marche des équipements, entretien, réparations… C’est en écoutant les voix faire leur rapport à la Terre qu’il finissait par trouver le sommeil, comme hypnotisé sans doute, ou détendu comme après le visionnage d’une bonne vidéo d’ASMR.
Pour moi qui ai finalement passé plus d’un an dans la tête de Clemens Setz, à jouer à Ground Control et Major Tom pour faire décoller le texte à mon tour, avec suffisamment de folie j’espère, lorsque la capsule revient finalement sur Terre, le retour dans l’atmosphère secoue un peu, et il faut réapprendre à marcher, se réveiller d’un rêve presque trop dense pour le raconter. À réfléchir comment s’y prendre, on se retrouve catapulté dans une des scènes du roman, dans l’unité de M. Zunegg, l’un des clients de la résidence, qui dort les yeux ouverts et à qui les auxiliaires de service de nuit vont raconter ce qui les préoccupe, sans savoir vraiment ce qu’il comprend, ce qu’il va absorber pour le restituer par bribes dans les jours qui suivent.
Cette année, je l’ai passée aux côtés de l’héroïne, Natalie, perdue dans une histoire plus vaste et plus méchante qu’elle, embourbée tel l’oiseau mazouté dans des images morbides ou angoissantes, à tel point que, comme au détour d’une scène de Mulholland Drive – celle où j’avais mis les mains devant les yeux pour ne pas voir le masque terrifiant qui surgit dans une arrière-cour –, je commençais presque à me faire peur toute seule à traduire ces histoires de tête apparaissant comme une lune à la fenêtre de la cuisine, ces éléments sombres qui ne me lâchaient plus, rééquilibrés fort heureusement par autant de détails lumineux et d’anecdotes loufoques. Dans une situation pareille.
Car ce roman foisonnant se définit tout autant par la myriade de digressions animalières, ésotériques ou science-fictionnelles qui le parcourent, ainsi que par ses jeux divers sur la langue. Nonsense et non sequitur ont tout autant leur place dans l’univers de l’auteur que les réflexions sur le fonctionnement du cerveau ou les pieuvres mimétiques. Et un dialogue en forme de jeu entre Natalie et Hollberg sur les psychés mortes attendant dans un cloud de revenir à la vie peut nous placer au cœur de l’intrigue.
C’est un long voyage qu’il m’a fallu parcourir (mille dix-neuf pages pour l’original, neuf cent quatre-vingt-dix pour la traduction, par les hasards et les choix de mise en page, voilà d’ailleurs qui a sans doute fait sourire l’auteur), avec un compte à rebours de pages à traduire, à relire et re-re-relire avant le décollage, une lecture à haute voix comme une transe incantatoire – les éléments récurrents me plongeant parfois dans un véritable tourbillon de mots –, mais le paysage, on s’en doute, fut loin d’être monotone. Ce fut un bonheur de détourner les mots avec l’auteur, de partir en maraude avec Natalie l’auxiliente, de regarder interagir les référants et leurs référentes, de partager le quotidien du vaisseau Villa Koselbruch et la folie douce de ses passagers. À tel point que si l’auteur repartait pour un nouveau périple, rapportant avec lui d’autres échantillons de matériaux encore inconnus sur notre planète, je remonterais dans la capsule aussitôt.
Lorsque nous nous sommes rencontrés, Clemens, au détour de la conversation, m’a dit qu’il était curieux de voir quelles erreurs pouvaient se glisser dans les traductions, malgré toutes les questions qu’on posait à ses collègues ou à l’auteur pour éclaircir ce qui nous échappe. Voilà qui me livrait une nouvelle preuve de sa passion pour les détails incongrus. Pour ma part, je suis trop sage pour souhaiter le contraire, alors : espérons qu’ici il n’y en ait pas.

* Traductrice, entre autres, de Michael Köhlmeier, Andrea Maria Schenkel et Jens Harder. Les Femmes sont des guitares (dont on ne devrait pas jouer) paraît début septembre aux éditions Jacqueline Chambon.

Stéphanie Lux
Le Matricule des Anges n°186 , septembre 2017.
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