Dans Quand je serai grande, la narratrice, une enfant pétillante à l’imagination insatiable, accumule les bêtises et les infractions à l’ordre petit-bourgeois dont au fil des jours, elle démasque, mine de rien, les cécités et les lâchetés d’adultes. Dans cette chronique bien ancrée dans le contexte de la fin de la Première Guerre mondiale, à travers laquelle on peut déjà déceler les signes insidieux d’une société encline au conformisme et à l’inertie de la pensée, terrain idéal de tous les totalitarismes, la petite fille se heurte en premier lieu au moralisme hypocrite et misogyne de sa famille. C’est également toute la pédagogie coercitive de l’école autant que l’absurdité de la guerre que met au jour par son impertinence irréductible celle qui n’hésitera pas à écrire à l’empereur que « la paix, c’est bien mieux que la guerre (…) et que le mieux serait qu’il abdique ». Une liberté de ton ardente, un courage transgressif, qu’aura cultivés son existence durant Irmgard Keun (morte en 1982), qui n’était pas juive mais dont les livres furent tôt inscrits sur la liste des ouvrages indésirables.
À l’image des héroïnes de ses deux premiers romans Gilgi (1931), La Jeune Fille en soie artificielle (1932), deux best-sellers à leur parution en Allemagne, la romancière n’hésitera pas à porter plainte contre l’administration nazie, exigeant même des dommages-intérêts pour les exemplaires saisis. Sans aucune illusion quant à l’issue de sa démarche, rien ne comptait pourtant plus à ses yeux que de manifester son indignation, sa révolte contre les diktats du régime nazi. Abandonnant mari et amant, Keun se résout alors à l’émigration, d’abord en Belgique en 1935, où elle vivra une idylle passionnée avec Joseph Roth. Ne pas être aux ordres, ne pas plier devant l’autorité : telle est la promesse contractée à même les injustices de son époque que s’engage à tenir, depuis son jeune âge, la fillette récalcitrante et apparemment inoffensive de ce récit d’apprentissage profondément humaniste (publié en 1936 par les éditions Allert de Lange à Amsterdam). Un appel à la résistance intérieure qui devait culminer un an plus tard avec la publication de son roman Après minuit, témoignage d’une lucidité souveraine contre le fascisme ordinaire par cette observatrice chevronnée du présent allemand que fut Irmgard Keun.
Sophie Deltin
Quand je serai grande, je changerai tout, d’Irmgard Keun
Traduit de l’allemand par Michel-François Demet, entièrement révisé par Marie Hermann, Agone, « Infidèles », 220 p., 15 €
Domaine étranger Promesse subversive
juillet 2017 | Le Matricule des Anges n°185
| par
Sophie Deltin
Le regard d’insouciance miné par la révolte d’Irmgard Keun, écrivaine allemande à succès des années trente, méconnue en France.
Un livre
Promesse subversive
Par
Sophie Deltin
Le Matricule des Anges n°185
, juillet 2017.