Il y a ceux dont on n’a pas idée : les mangoustans, les pitayas, les tamarillos ; fanés, flétris, moisis. » Il y a ceux aussi qu’on entrevoit près d’un métro – à la sauvette – sans pouvoir mettre un nom dessus. Couleur orange « étourdissant », fragile et dur, répugnant, goûtu : drôles de fruits, les kakis. Drôle de mot : bégayé et pointu, inquiet, gaguesque – entre riquiqui et caca. Doublement drôle de livre que la Rhapsodie curieuse d’Alexander Dickow, qui en chantourne la texture, l’origine, les légendes – s’en émerveille.
Soixante pages ne suffiront pas à faire le tour du kaki ; elles disent à la fois beaucoup moins et beaucoup plus. Le kaki convoque des époques et des contrées lointaines, mais ramène au familier : si c’était un organe, ce serait en même temps un cœur, une bouche et un sexe. Comme le suggère le premier mot de cette Rhapsodie, les « amours en cage » (nom d’un fruit et matière à sentiments), il est toujours question d’une chose et d’autre, du monde et de soi-même – c’est au fond l’impropre du langage. Le kaki est un prétexte, et Rhapsodie curieuse à la fois une tentative d’épuisement d’un objet, un traité de poésie, un collage de contes et un autoportrait en morceaux. Un précis (un précipité) d’étonnement, composé en vers et en prose, en français moderne et dans une langue désuète. Car Alexander Dickow est américain et aime souvent écrire à cheval (et cavalièrement) entre les langues. Dans Caramboles (Argol, 2008), il s’intéressait déjà aux fruits et aux frictions de l’anglais et du français. Ici, il varie les rythmes et fait vriller la syntaxe par des prépositions inattendues ou un léger désordre de la phrase. Ce nouveau texte est pourtant moins joueur, plus pédant. Il se révèle plus troublant, parce qu’il mélange tonalités et humeurs, titille son lecteur. Comme une mise en bouche qui donnerait envie de mêler verbes du goûteur et du goûté : goûter saloper puer consommer gorger blettir tirer – contenir.
Chloé Brendlé
Rhapsodie curieuse, d’Alexander Dickow, Éditions Louise Bottu, 60 pages, 8 €
Domaine français Ô mon kaki
juin 2017 | Le Matricule des Anges n°184
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Ô mon kaki
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°184
, juin 2017.