Jacques Dupin, la puissance au carré
- Présentation Le verbe à cheval
- Entretien Hanche double
- Papier critique Dernier démantèlement
- Autre papier Matière des mères
- Autre papier Du corps, face au monde
- Autre papier Le dernier des impeccables
- Autre papier Jacques Dupin, l’insurgé
- Autre papier Pour ne rien dire
- Autre papier Une expérience sans mesure
Peu de poètes contemporains ont, autant que Jacques Dupin, et aussi continûment, tenté de cerner ce que Pasternak appelait une « Haute maladie ». Pour Jacques Dupin, en effet, la poésie est tout le contraire d’un genre littéraire. C’est la conscience douloureuse d’étouffer sous la coque du langage. Mais c’est aussi le seul moyen de crever cette gangue et d’atteindre l’au-delà des apparences. Au-delà encore, écrire de la poésie c’est tenter de vivre au plus près de soi. En arrachant à Jacques Dupin, comme je le fais ici, quelques bribes de ses écrits sur la poésie, disséminés dans neuf volumes, publiés en plus de quarante ans, dresse-t-on un autoportrait volé, ou un portrait tronqué ? Les deux sans doute. Du moins l’entreprise a-t-elle lieu sous le signe de l’amitié. Marcel Cohen
> Dernier livre publié : Une sculpture et deux monuments invisibles (La Pionnière)
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La poésie, sans même avoir à désigner ce qu’elle abomine, constitue, par sa seule réserve, une condamnation, un appel d’air, un refus.
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Écrire comme si je n’étais pas né. Les mots antérieurs : écroulés, dénudés, aspirés par le gouffre. Écrire sans les mots, comme si je naissais.
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Je suis entré par distraction dans l’effervescence des mots de la langue-mère, dans la mâchoire crayeuse de ma langue-mort. Plus vagissant que naissant, plus entravé qu’éperdu. Pour apprendre d’elle, la mort durant, à hurler, à balbutier, à chanter dehors, debout, devant la nuit, le soleil…
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Sentir, découvrir, ce qui est, ce qui était déjà, sans être là, et qui brûle en nous traversant, qui n’est souffert qu’en s’écrivant, et ne s’écrirait pas sans l’ouverture qu’un coup de folie fore dans l’opacité du réel.
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Écrire sans point d’ancrage, sans point de mire, risque absolu, espace ouvert… précipice de la langue, laconisme du funambule…
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Absente, la poésie l’a toujours été. L’absence est son lieu, son séjour, son lot. Platon l’a chassée de sa République. Elle n’y est jamais retournée. Elle n’a jamais eu droit de cité. Elle est dehors. Insurgée, dérangeante toujours, plongée dans un sommeil actif, une inaction belliqueuse, qui est son vrai travail dans la langue et dans le monde, envers et contre tous, un travail de transgression et de fondation de la langue.
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Le poète croit en effet à la réalité du langage, à son pouvoir de saisissement et de transformation de la réalité. Il sait que les mots qui peuvent représenter le feu et signifier la brûlure, sont capables d’allumer réellement l’incendie…
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Ce que je vois et que je tais m’épouvante. Ce dont je parle, et que j’ignore, me délivre.
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Expérience sans mesure, excédante, inexpiable, la poésie ne comble pas mais au contraire approfondit toujours davantage le manque et le tourment qui la suscitent. (…) Mais sa violence (celle du poète), sa faiblesse et son incohérence ont pouvoir de s’inverser dans l’opération poétique et, par un...