Jacques Dupin, la puissance au carré
- Présentation Le verbe à cheval
- Entretien Hanche double
- Papier critique Dernier démantèlement
- Autre papier Matière des mères
- Autre papier Du corps, face au monde
- Autre papier Le dernier des impeccables
- Autre papier Jacques Dupin, l’insurgé
- Autre papier Pour ne rien dire
- Autre papier Une expérience sans mesure
Début 2007. On me propose de participer au volume d’hommages qui sera publié pour fêter le quatre-vingtième anniversaire de Jacques Dupin, ce 4 mars : 04.03. Cela me fait penser à L’Émerveillé merveilleux, le beau livre offert à Miró pour ses 80 ans, en 1973, auquel Dupin avait lui-même participé. Une belle rime. Alors je décide pour l’occasion de raconter une histoire. L’histoire du recueil de ses textes sur la poésie, qui doit précisément paraître en même temps que 04.03., et qui pour moi fait tellement sens. Je ne reprends pas le récit tel qu’il a été publié, mais seulement ce souvenir insistant, tellement, parmi tant d’autres : c’est un matin ensoleillé dans sa maison en Catalogne, toute proche de la frontière espagnole, toute pleine de sa proximité avec le grand peintre catalan, où il m’a invité pour discuter du choix et de l’ordre des textes de son ouvrage sur la poésie. Mon heure tardive de réveil l’impatiente : il est homme d’aube, et lui est venue cette idée dont il veut me faire part sans attendre. Une idée de titre, que lui ont suggérée quelques vers de Mallarmé entendus à la radio : M’introduire dans ton histoire. Tiens. Je n’y aurais pas pensé. Puis je songe que cela répondra aux mots de Rimbaud qui avaient donné son titre à Une apparence de soupirail, vingt-cinq ans plus tôt. Une belle rime, encore.
Quelques mois plus tard, un exemplaire de 04.03 lui est offert comme prévu à l’occasion de son anniversaire. Je me souviens de sa gêne lors de la soirée à laquelle participent la plupart des contributeurs : les honneurs et les célébrations aussi l’impatientent. Plus tard, il me parle de mon texte, de cette histoire que j’ai voulu raconter dans son livre d’anniversaire. Il n’a pas aimé. C’est dit sans détours – pas son genre, les euphémismes policés. C’est que mon texte n’est pas bon, je ne sais pas quoi lui répondre. On s’en doute, j’y ai beaucoup repensé. Et j’ai fini par me dire qu’il y avait peut-être autre chose dans son agacement que mes phrases mal faites. Que je l’avais enlisé dans l’anecdote, pris au piège de ma première personne, lui dont la poésie s’écrivait pour dire le « je trahi, chassé, reconduit à la frontière, absorbé par le récit, ou dissous dans son espace… » Lui qui écrivait pour s’échapper. Après tout, ce volume d’hommages, il ne pouvait feindre d’y être célébré, pris dans le bronze « où se fige l’éternité des grands hommes » – comme il l’écrit à propos de Miró – qu’en s’esquivant, en respirant ailleurs. Toujours cherchant le soupirail. Bref : mon texte était encore plus maladroit que mauvais. Avec quelle lourdeur j’avais cru pouvoir m’introduire dans son histoire.
Et pourtant. Feuilletant aujourd’hui M’introduire dans ton histoire, je relis sa merveilleuse évocation de Pierre Reverdy : « un seul poème taciturne et ombrageux, et le pas d’un homme qui marche seul et s’accroche à la vie »… Et je me dis que c’est bien ce texte qu’il m’aurait fallu écrire, si je l’avais pu. Écrire cette personne-là, qui...