Jacques Dupin, la puissance au carré
- Présentation Le verbe à cheval
- Entretien Hanche double
- Papier critique Dernier démantèlement
- Autre papier Matière des mères
- Autre papier Du corps, face au monde
- Autre papier Le dernier des impeccables
- Autre papier Jacques Dupin, l’insurgé
- Autre papier Pour ne rien dire
- Autre papier Une expérience sans mesure
Né à Privas (Ardèche) le 4 mars 1927 et disparu le 27 octobre 2012, Jacques Dupin offrit durant plus de soixante ans, par des livres rares et intenses, la traversée d’expériences âpres. Son écriture ne cessa, depuis Cendrier du voyage (1950), que préfaça René Char, de chercher l’embardée la plus violente, la commotion, le bond pugnace, la salve putassière du désœuvrement. Inséparables sont dans ses livres, la violence et la douceur, le réfractaire et la simplicité, ainsi que le montrent ses ultimes poèmes que donne à lire aujourd’hui le volume posthume Discorde. Ils valent comme de véritables documents, peut-être Jacques Dupin les aurait-il jetés au feu, mais les voilà, puissants et reconnaissables, balises clignotantes de la venue opiniâtre du poème à lui-même. Si l’on compte plus d’une vingtaine de livres de poésie, sans y ajouter ses essais sur l’art et les peintres, qui furent une partie essentielle de son activité, d’abord comme responsable des éditions Maeght (de 1956 à 1981), puis comme cofondateur de la Galerie Lelong, la dénomination d’œuvre lui convient mal. Tout ce que charrie son écriture, jusqu’à parfois glacer, fut remis constamment en question. La lire, c’est être ainsi face à ce qui, en nous, s’accepte le moins. À chaque plongée dans ses ouvrages, une page, deux mots isolés en elle, un quatrain, peuvent exploser comme une grenade. Cette concaténation, interne à sa démarche, rappelle autant à nous la position de l’animal aux aguets, un singe par exemple, ou cette nuée de mouches qui, imperturbable, acharnée, se colle au coin de l’œil jusqu’à troubler la vue et l’infecter…
Les livres de Jacques Dupin n’assagissent donc pas. Voilà ce que fait son vocabulaire, toujours contradictoire, paroxystique, à tout lecteur qui y plonge ses yeux : s’il ne le cloue pas à sa propre stupeur, il le rend à la défiguration du langage et à la stupeur du surgissement de la phrase. Écoutons cela, extrait de De singes et de mouches, qui, lu en public à sa parution, pétrifia son auditoire : « Et ce treize de septembre/de l’année quatre-vingt trois//le jeu de l’anus et de la langue/d’un singe écarté de moi//se réfracte se prolonge/par l’ambre fumé/de ton silence de mouche ».
On retrouvera cette sauvagerie dans ses textes sur les peintres (De Staël, Miró, Giacometti, Tàpies, etc.). Ils n’hésitent pas à nommer la rage interne à leur processus, la pulsion sexuelle de telle forme, l’endurance du retour du peintre à une tête (Giacometti), celle de ne peindre que le rougeoiement du corps féminin (Claude Garache). Entendons-le encore lorsque, en hommage à Bram Van Velde, il précise ne rien dire de sa peinture, sinon laisser être au sein de ses mots « cette coulée gliss(ée) sur une autre coulée de couleur » : « Je ne décris pas, écrit-il, je rapporte l’enveloppement de ce bleu, la lapidation de ce jaune, la balafre de cette garance, cette intensité que soutiennent, que favorisent, le tremblement d’une structure hallucinée, et les pulsations du...