Ce roman est une miniature. Certes brève. Mais au sens du bijou littéraire. Au « dimanche des mères », il est de coutume de donner congé à la domesticité. Jane, une jeune domestique sans famille, obtient un rare et dernier privilège : partager nue la chambre de son amant lui-même nu. Car Paul Sheringham est un aristocrate à la veille de son mariage avec une somptueuse héritière : « il épousait l’argent ». Ce qui n’empêche guère le couple d’être des « amants accomplis, dégourdis, appliqués, accros à leurs ébats », bien qu’il s’agisse de leur dernier jour, avant une tragédie…
Légèrement satirique, doucement élégiaque, le méticuleux récit, centré sur son moment symbolique, radiographie en leur absence les us et coutumes de la famille Niven. Suivant les pas « en tenue d’Eve » de Jane, l’on saura tout sur la contraception étonnamment moderne, la bibliothèque où elle emprunte « les livres pour garçons ». C’est en 1924 la fin d’une époque, de la domesticité nombreuse, et le début d’une autre, de la précaire liberté des femmes.
La modeste héroïne, plus « futée » qu’il n’y paraît, analyse ceux qui l’entourent, au premier chef son amant, tout en sachant combien le point de vue est partiel : « Elle ne saurait jamais jusqu’à quel point les autres – ceux qui n’étaient pas écrivains – “écrivaient” les événements de leur vie ». C’est en effet une dame de 90 ans qui se souvient : elle est devenue « Lady romancière », parce que les mots sont « une peau invisible ». Elle livre enfin les secrets de la création de ses personnages. Graham Swift écrit avec elle comme on peint un tableau de genre. Guère d’action, beaucoup de suggestion : le roman éclôt peu à peu de toute sa lumière.
Thierry Guinhut
Le dimanche des mères de Graham Swift
Traduit de l’anglais par Marie-Odile Fortier-Masek, Gallimard, 144 pages, 14,50 €
Domaine étranger Le Dimanche des mères
janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°179
, janvier 2017.