Rythme lent, temps qui s’étire : la promenade s’allonge. Une histoire de brume. « Elle arrive de la mer et longe la langue de terre. C’est toujours ainsi en été, elle avance, vient se tapir au pied des collines derrière lesquelles elle jette un œil, entre dans le village où elle lèche les angles des maisons, puis se lève suffisamment pour que je puisse épier aux fenêtres ». Ce soir la chorale de Valeyri avec ses « amateurs d’art – pêcheurs, marins, coiffeurs, banquiers, éleveurs de chevaux, oisifs ou rêveurs » donne concert, sous la direction de Kata, qui à force de répétitions a fait naître « cette harmonie subtile. L’harmonie de Valeyri ».
C’est le secret de Valeyri. L’harmonie du lieu, les histoires des uns et des autres qui agencées tissent la toile d’une vie de village et remontent le temps. À petits pas, vent et brume caressent les habitants et soufflent des récits-portraits qui s’empilent, se complètent, se font écho. Ils sont seize à livrer toute une vie ou quelques brefs instants suspendus, comme en attente. Lalli le Macareux de Lalli l’Allongé, Kata, le poète Smyrill, Kalli, Josa, Svenni, Arni, le révérend Saemundur, Oli et Sigga, Joi et Anna…
Mais « un village ne saurait se résumer aux vagues, aux professions de ceux qui l’habitent, aux hoquets d’un bateau à moteur ou aux chiens qui se couchent. (…) Il est également un récit qui se déploie en silence dans les rues et conserve l’image initiale des lieux qui peu à peu prennent forme et se modifient au fil des ans et des siècles. » Des mariages ratés et d’autres plus heureux, Jonas et sa mélancolie, des amours enfuies, des familles disparues, le poète des poètes, des brouilles, des miracles et des drames, des retrouvailles, des souvenirs d’enfance, quelques fantômes, le calme retrouvé à l’ombre des maisons du village. Sans parler des histoires « jamais dites », celles qui « influent sur l’atmosphère du village », « murmure inaudible au creux du vent ».
Valse lente, la promenade de Gudmundur Andri Thorsson est une errance mélancolique, rassemblant tous ses protagonistes au sein d’un microcosme plus étendu qu’on ne le penserait, à première vue. Valeyri au travers de ses figures emblématiques questionne le sens de la vie, la valeur de chacun, le poids du souvenir. Le narrateur, vent, brume, ombre ou esprit, conscience et omniscience, effleure chacun, l’allège, peut-être. On pense à Jón Kalman Stefánsson, cette manière de dire le quotidien pour aller plus profond dans un ailleurs poétique, l’Islande quotidienne et celle des elfes et des légendes, la mer tout autour, son « silence qui n’est pas qu’un silence, mais une résonance. Vous apporte un calme qui n’est pas immobilité mais mouvement. Une solitude qui est identité ». L’identité d’un lieu par ceux qui le font vivre, la mémoire collective pour dire le temps qui passe, peut-être lire l’avenir. C’est une des particularités du texte, non des moindres. Se faire petit, intimiste, et en même temps ouvrir au monde.
Julie Coutu
La Valse de Valeyri
De Gudmundur Andri Thorsson
Traduit de l’islandais par Éric Boury, Gallimard,
192 pages, 18 €
Domaine étranger Retour au port
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Julie Coutu
Un livre
Retour au port
Par
Julie Coutu
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.