Certains écrits sur la jeunesse, caractérisant ce moment trouble, paroxystique, juste avant le passage à l’âge adulte pourraient être un genre littéraire fortement masculin et anglo-saxon. De l’Irlandais James Joyce à l’Anglais Denton Welch en passant par l’Australien Kenneth Cook ou l’Américain Bret Easton Ellis… Tous décrivent les affres, les dérives comportementales de jeunes mâles en proie au doute, à l’absence de reconnaissance, à la peur de la sexualité, à celle de s’assumer… Répondant à ces problématiques par des réponses violentes, tourmentées, pouvant conduire à une mort brutale voire un suicide.
Colin Barrett, né en 1982, a vécu dans le comté de Mayo, sur la côte ouest irlandaise, balayée par d’incessantes perturbations océaniques. Peu importe, la plupart de ses nouvelles se déroulent la nuit dans des pubs très agités.
Jeunes loups, le titre français, paraît assez réducteur par rapport à l’original, Young Skins. Jeunes peaux ou À fleur de peau conviendraient mieux tant cette fine membrane est ici toujours en jeu. Dans tous les excès de violence, de sexe, de frustration, d’ivresses systématiques et mal assumées, de défonces… Pas de garde-fou, les pères, toujours absents, enfuis, alcooliques, chômeurs…, les mères assurant de précaires îlots de sécurité. Certes des stéréotypes, mais ce qui fait la force de Colin Barrett, c’est justement d’aller au-delà du cliché, de tracer des lignes de fuite, des échappatoires poétiques, incongrues, parfois tendres et empreintes d’une sorte de grâce, de lumière. Il entremêle les trames narratives, construit, déconstruit. Ce qui induit un relief, une densité singulière, une patine qui trouble ceux qui prétendent résumer ses récits denses, extrêmement mouvementés.
« Le petit Clancy » plante le décor : « Ma ville, vous n’y êtes jamais allé mais vous voyez le genre : un rond-point à la sortie d’une route nationale, une zone industrielle, un cinéma cinq salles, un siècle de pubs contenu dans les moins de deux kilomètres carrés de sa surface urbanisée. » Sur fond de rivalité amoureuse, d’une très jeune mère à la sexualité erratique, de paternité, d’enfant enlevé par un groupe de lesbiennes allemandes, il semble dresser de fausses pistes ? La violence est latente. On se toise, s’invective. Le récit se termine par la rencontre avec des enfants. L’un se prétend roi, empêche le passage d’un pont brinquebalant. Les deux voyous se prêtent au jeu. Un ange passe. Dans « L’appât », Matten Judge confie sa déconvenue amoureuse d’avec la très originale Sarah. Son timide cousin Teddy suit la jeune femme dans la forêt où celle-ci le viole avec une comparse. « Encore des rires. Je n’aurais jamais pu dire qui des deux avait chantonné, qui continuait à se marrer. Mais s’il n’y avait pas eu la semelle de botte qui m’écrasait la pomme d’Adam, j’aurais demandé, j’aurais supplié : Allez-y, les filles, allez-y, le pire que vous pouvez. » « Le calme des chevaux », une nouvelle de cent pages a tout d’un mini-roman. Il y est question d’une vengeance sur un quinquagénaire ayant reluqué une adolescente d’un clan mafieux. Un ancien boxeur est chargé du massacre. Son jeune fils est handicapé mental. Il n’arrive à se calmer que sur des chevaux… À la fin du récit qui s’emballe et s’ensanglante de plus en plus, l’homme de main titube dans une longue danse violente et pathétique avec la mort. Vision très cinématographique entre Scorsese et Ken Loach. Une écriture puissante, élancée.
Dominique Aussenac
JEUNES LOUPS de COLIN BARRETT
Traduit de l’angais (Irlande) par Bernard Cohen,
Rivages, 240 pages, 21 €
Domaine étranger À poings fermés
mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173
| par
Dominique Aussenac
Dans un premier recueil de sept nouvelles brutales, Colin Barrett évoque la difficulté d’être jeune et pauvre dans l’Irlande d’aujourd’hui.
Un livre
À poings fermés
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°173
, mai 2016.