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Arts et lettres Le discours des yeux

mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173 | par Richard Blin

Derrière le dialogue de l’ombre et de la lumière, une écriture est à l’œuvre dans l’art de l’estampe. En nous la révélant, c’est un savoir-regarder que nous propose Florian Rodari.

L' Univers comme alphabet

Nous avons d’étranges relations avec le visible. On sait qu’un botaniste qui se promène dans un bois, ne voit pas la même chose qu’un forestier, parce qu’on ne voit jamais que ce que l’on est. Et si on tente d’expliquer ce qu’on voit, ce qu’on voit ne loge jamais vraiment dans ce qu’on dit. D’où l’existence de l’art, dont Giacometti disait qu’il « n’est qu’un moyen de voir ». Interroger la richesse du visible, ce champ constamment instable où s’affrontent des forces tantôt complices tantôt contraires, c’est ce que font le dessin, la gravure, la photographie, domaines par excellence de Florian Rodari qui, dès l’âge de 20 ans travailla au Cabinet des Estampes de Genève avant de diriger le musée de l’Élysée à Lausanne puis de fonder les éditions de La Dogana. Historien d’art, auteur et directeur de collection chez Skira, conservateur de plusieurs fondations et commissaire d’exposition, il a réuni dans L’Univers comme alphabet un certain nombre des essais qu’il a consacré aux moyens de transcrire la réalité à l’aide du seul binôme noir-blanc, à travers l’art du graveur, du dessinateur ou du photographe.
Qu’il s’agisse de l’art de l’estampe, du travail de la gravure ou des innombrables manières et raisons de dessiner, Florian Rodari cherche à voir comment s’associent ces deux mouvements contradictoires que sont la liberté du geste et la contrainte de la pensée. Comment chaque artiste parvient à faire cohabiter en un même temps et en un même lieu, des contraires comme la courbe et l’aigu, la ligne et le volume, la vue et le rêve. On découvre ainsi combien le dessin est essentiel à Giacometti pour comprendre « ce qu’on voit quand on regarde » ou ce qu’est la réalité, « qui existe en dehors de moi et n’existe pas tant que je ne la regarde pas », existe toute faite en moi et disparaît au moment où je tente de la saisir. D’où le travail d’« ajusteur du réel » qui est le sien – parce que « l’œil est saisi par le monde plus qu’il ne saisit le monde » – un travail que chacun des artistes étudiés module à sa façon à travers une pratique et une technique qu’il élabore à son image, lui insufflant la vie de sa chair et de son esprit.
Travail nécessaire parce qu’entre ce que l’œil reçoit – le choc perceptif – et la main qui cherche à en restituer l’écho, il s’opère une série de transformations, perturbations, mutations dues à nos idées reçues du monde comme au travail inconscient d’une intelligence qui ne peut s’empêcher de classer, de parcelliser, de transformer ce qui est de l’ordre du pur sensible en un « discours » auquel se mêlent le temps, la mémoire, la réflexion. En voulant témoigner de ce qu’il voit ou a vu, l’artiste invente alors des alphabets. C’est ainsi que l’œuvre graphique de Victor Hugo décline tout un alphabet architectural qui contient le monde, que celle de Henri Michaux cherche à retrouver cette « part sensuelle de la parole transcrite, qui a disparu avec la typographie », part qui échappe au sens qui aimante les mots, celle qui sonde les profondeurs où les mots n’atteignent pas : une écriture d’avant l’alphabet, quand la nuit était encore remuante, soulevée par la violence des mouvements primordiaux. Une démarche qui recoupe le désir de Georg Baselitz cherchant à rendre ce qui survient dans l’instant pur de la perception, en son commencement sauvage et chaotique. Cette primauté de la sensation sur la désignation, on la retrouve chez Pierre Tal Coat s’attachant à imager des moments de fusion avec le monde des phénomènes élémentaires quand matière et vision coïncident.
Qu’il traque la vérité matérielle d’une image, s’intéresse à la question des états d’une gravure ou qu’il rende ostensible ce qu’on ne voit pas qu’elle montre, Rodari ne cesse de démontrer qu’on lit une estampe autant qu’on la contemple. Qu’elle possède un alphabet, qu’elle est une écriture. Chacun a la sienne, Claude Mellan (1598-1688) – l’inventeur de la « gravure blanche » – comme Rembrandt dont la poétique de la lumière et l’art du velouté des ombres, parlent une langue riche d’échos intérieurs. Celle de Pietro Sarto, elle, cherche à sortir l’art de la gravure de ses gonds, refuse les acquis, redécouvre des techniques oubliées. Il en va de même avec la photographie en noir et blanc quand, chez Jacques Henri Lartigue, elle rend perceptible l’absolue présence de ce qui va se défaire et disparaître, ou chez Balthasar Burkhard, quand il fait affleurer à la surface de l’image des sensations enfouies ou atrophiées. Différentes façons de s’emparer de l’univers, de proposer une sorte de nouvelle création du monde visant à nous révéler ce sur quoi nos yeux étaient clos.
Richard Blin

L’UNIVERS COMME ALPHABET DE FLORIAN RODARI
Gallimard, « Art et artistes », 264 pages, 21 illustrations, 23

Le discours des yeux Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°173 , mai 2016.
LMDA papier n°173
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