En regard du nombre de pages écrites par Alejandra Pizarnik (1936-1972), qu’il s’agisse de ses proses, de ses poésies et de ses journaux, ces vingt et une lettres paraissent bien peu. Pourtant, quelle densité ! À son ancien thérapeute, elle relate ses espoirs comme ses déceptions. Après avoir embarqué pour la France en mars 1960, elle écrit en septembre à León Ostrov : « je me suis jurée de travailler à en mourir et de ne jamais rentrer, ou si c’était le cas de rentrer forte et libre. » Elle multiplie les démarches pour trouver un emploi rémunéré et lui confie alors son désir fou de « travailler, lire, écrire, gagner de l’argent, ne plus jamais voir ma famille et être seule sans pour autant m’en sentir coupable. » En octobre 1960, elle commence à collaborer à la revue Cuadernos, puis s’installe dans une chambre au sixième étage, place de Clichy. Mais elle avoue : « je trouve dérisoire et surprenant de donner sept heures de ma journée, de les donner comme ça, sachant que la mort existe, et que beaucoup de choses merveilleuses existent, et plein de choses terribles… »
Loin de sa ville natale, Alejandra Pizarnik mène pendant quatre années, une vie propice à sa création littéraire, quoique des plus difficiles. Lui faut-il renoncer et repartir ? « Lorsque je pense à Buenos Aires, je vois une fermeture, je vois un puits, je vois quelque chose qui s’ouvrira une seconde comme une fleur carnivore et se refermera sur moi. » À Paris, elle demeure une étrangère, mais ne manque pas cependant de faire quelques rencontres capitales, dont celles, notamment, de Roberto Juarroz, et d’Octavio Paz, préfacier de son livre, Arbre de Diane, publié en 1963. Éprouvée par l’exil, Alejandra affronte alors angoisses et obsessions, tiraillements douloureux et profond sentiment de culpabilité, tout en menant à bien ses projets de publications : Les Lettres nouvelles, Akzente, Sur, et d’autres revues encore, publient ses poèmes. Ses lettres font sans cesse allusion à son journal, et se lisent donc comme le pendant de celui-ci. Elle a un moment le projet d’en faire paraître des pages dans la revue colombienne Mito : « Si je crois à quelque chose, c’est à ce journal : je veux parler de sa qualité littéraire, de sa langue. Il est infiniment meilleur que tous mes poèmes. »
À l’origine de cette édition, Andrea Ostrov, la propre fille du psychanalyste, relève que la correspondance, les journaux, les poèmes d’Alejandra constituent « un seul et même texte » qui se recrée « dans un combat infini avec le langage ». Toujours en recherche, son écriture transgresse les frontières entre les genres littéraires. Il y a de la part de l’écrivaine non seulement une soif inextinguible de création mais aussi une insatiable curiosité. Son goût pour la peinture et ses visites au Louvre lui font découvrir Zurbarán, Goya, Klee, au point de lui inspirer certains textes insérés dans Arbre de Diane. La lecture de Gongóra, de Lautréamont, et de bien d’autres, comble son besoin « d’aliments poétiques », et dit-elle, « ce qu’on appelle la technique poétique – même si elle n’existe pas – mais il y a autre chose que l’on désigne de ce mot équivoque. Et j’en ai besoin. Je dois rendre mes rêveries, mes visions belles. Sinon je ne pourrais pas vivre. Je dois transformer, je dois donner des visions illuminées de mes misères et de mes impossibilités. » Ces lettres retrouvées attestent de la lutte qu’elle mena chaque jour pour se maintenir en vie et continuer à écrire face à l’horreur d’un « monde frigorifié ».
Emmanuelle Rodrigues
Correspondance avec Léón Ostrov, 1955-1966 d’Alejandra Pizarnik
Traduit de l’espagnol par Mikaël Gómez Guthart,
Éditions des Busclats, 216 pages, 12 €
Poésie Mots et merveilles
avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172
| par
Emmanuelle Rodrigues
Entre 1955 et 1966, Alejandra Pizarnik correspond avec León Ostrov qui fut un temps son psychanalyste. Cet échange épistolaire relate notamment son séjour parisien.
Un livre
Mots et merveilles
Par
Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°172
, avril 2016.