L’on devine sans peine que les personnages de Zia Haider Rahman ne sont pas étrangers à son propre vécu. Anglais né dans une région rurale du Bangladesh, ce dernier, après être passé par Oxford et Yale, a exercé à Wall Street avant de se reconvertir dans la défense internationale des droits de l’homme. Zafar et le narrateur, dont les voix alternent au cours du récit, partagent une obsession pour la réussite et une blessure profonde liée à l’origine. C’est d’ailleurs cette notion d’ancrage qui fonde leurs vies, et structure le roman. Ainsi les préjugés, les humiliations et les provocations parsèment leurs parcours respectifs. Toute la force de ces évocations réside dans de petits détails : « c’est le souci de représenter les détails qui m’a le plus occupé, les détails, pour être précis, de son histoire, qui est – au risque de le formuler dans des termes dramatiques que Zafar désapprouverait – l’histoire de la dispersion des nations, de la guerre au XXIe siècle, d’un mariage au sein de l’aristocratie anglaise et des mathématiques de l’amour », déclare le narrateur. Ce résumé initial annonce un périple exaltant à travers notre monde contemporain, déchiré par l’ostracisme et l’ambition.
Rien n’est linéaire dans l’écriture de Zia Haider Rahman. Les épisodes sont entrecoupés de digressions et d’introspections qui déstructurent toute univocité. L’ellipse est employée avec une belle habileté. Cette fragmentation, ces oublis génèrent une tension romanesque très construite. « J’en vins à discerner que les histoires confluaient, comme les rivières de son enfance descendant des montagnes, des forêts et des plaines, effectuant un long parcours depuis leurs sources mais finissant par s’unir au sein d’un même chant, d’une harmonie de lieu et de temps », réalise le narrateur. Les villes traversées (Kaboul, Dacca, Islamabad) et les milieux évoqués (financier, scientifique, aristocratique) sont étayés de références précises. De même, chaque chapitre s’ouvre sur plusieurs citations, qui convoquent Pavese, Baldwin ou encore Conrad. La littérature, l’Histoire et les mathématiques se rencontrent, et font d’À la lumière de ce que nous savons une somme tout à la fois épique, anthropologique et savante.
La colère est l’un des protagonistes du récit. En effet, la grande érudition dont font preuve les personnages et l’auteur, en démultipliant leurs expériences, prend une forme de revanche. Elle est la hargne devant les affronts répétés, la souffrance accumulée. La fureur face à un monde en proie au chaos, entre menace terroriste, crise boursière et matérialisme vain. Devant l’incertitude grandissante qui plane sur notre avenir, le narrateur se remémore le théorème d’incomplétude de Gödel, selon lequel « à l’intérieur de n’importe quel système donné, il existe des assertions qui sont vraies mais dont la vérité ne peut être démontrée ». Ce confondant aveu d’impuissance, si souvent oublié, éclaire les limites humaines. Une impossibilité de connaître, de...
Entretiens Une métaphore enrichie
Les retrouvailles de deux amis, après des années de séparation, remuent souvenirs et tabous. Derrière ces deux personnages aux parcours denses, Zia Haider Rahman questionne les rapports entre Orient et Occident, la douleur de l’exil, la confrontation à l’autre. Une brillante évocation des enjeux de notre société contemporaine.