Apulée N°1
Rares sont les romans de l’Antiquité à être parvenus jusqu’à nous, ce genre aujourd’hui hégémonique voit ses origines se perdre dans une relative obscurité, propice à l’imaginaire qui d’ailleurs lui est consubstantiel. Les Métamorphoses (ou L’âne d’or) d’Apulée fait partie de ces lointains ancêtres – mais conserve sa vigueur. Son héros, en effet, ne cesse d’affronter aventures et périls et d’écouter les récits de ceux et celles qu’il croise, en ces contrées africaines de l’Empire romain, pacifiées et cosmopolites. C’est donc avec raison que cette revue nouvelle, « de littérature et de réflexion », se place sous l’égide d’Apulée. Qui pourrait, en effet, mieux que lui, « esprit encyclopédique en quête du secret des secrets », Berbère qui au du IIe siècle de notre ère fut l’auteur d’un chef-d’œuvre de la littérature latine, symboliser ce carrefour, cette croisée des chemins et des vents que représentent la Méditerranée et ses rivages ? Hubert Haddad, rédacteur en chef, présente ainsi cette entreprise, animée par une admirable et roborative « énergie des lointains » : « Si l’identitarisme n’est qu’un leurre menaçant (…) on ne saurait contester nos soifs pérennes d’identification à cet englobant tangible constitué de mémoires entrelacées, d’utopies, de coutumes et de croyances, à travers une ou plusieurs langues apparentées, et généralement un territoire, fût-il imaginaire : ce qu’on appelle patrie, nation, région, peuple, tribu, famille, voire thébaïde ». En ces temps de repli affolé, alors que de nouveaux murs se bâtissent et emprisonnent davantage qu’ils ne protègent, ce lieu poétique – cette mer centrale, cette mère prodigue de ses dons – peut nous réunir : « toutes les distinctions communautaires qui font des peuples des sortes de chœurs ininterrompus portant à travers les siècles la mélodie complexe des langages et des idiomes (…) n’ont d’exemplarité que par ce lien universel rassemblant chacun de nous dans l’espace civilisateur de l’altérité ».
Les dizaines d’auteurs réunis ici, en ces centaines de pages qui composent un volume d’une belle tenue (nous pensons alors à la défunte revue Caravanes, qui était elle aussi une invitation aux voyages), cartographient ce territoire partagé, chacun l’explore à sa manière. Bien sûr la variété, la diversité fait la richesse d’un tel ensemble, mais, c’est inévitable, oblige le lecteur à accommoder constamment son attention, son oreille à chacune de ces voix. Les poèmes s’y mêlent en effet aux récits, les textes de fiction succèdent à des essais plus argumentés, les Français cèdent la place aux étrangers, de l’autre rive ou plus lointains – et la volonté d’échange va jusqu’à traduire non seulement le Grec Titos Patrikios ou le Soudanais Abdelaziz Baraka Sakin ou le Cubain Enrique Serpa en français, mais aussi « Le ravissement de Palmyre » d’Eric Sarner en arabe ou « L’Africain » de Le Clézio en wolof !
Le choix d’ouvrir ce premier numéro (la revue sera annuelle) sur un entretien avec Albert Memmi (né en 1920, auteur d’œuvres aussi essentielles que Portait du colonisé et Portrait d’un Juif) est également significatif, car il se présente lui aussi comme le fruit des confluences ici dessinées : « Je suis né à Tunis, entre le quartier juif et le quartier arabe, d’un père qui s’appelait Fradji Memmi et d’une mère nommée Maïra Sarfati. Memmi serait un antique patronyme kabyle qui signifie le « petit homme », quant à Serfati, qui signifie le « Français », c’est un nom assez courant dans la littérature hébraïque. Vous voyez, tout se trouvait déjà dans cette conjonction… ». Et c’est sans doute à une telle conjonction, salvatrice, que travaillent ceux et celles qu’Hubert Haddad a su associer, d’Adonis à Abdourahman A. Waberi, de Colette Fellous à Leïla Sebbar.
Thierry Cecille
Apulée N°1 Galaxies identitaires
Zulma, 399 pages, 28 €