Hildur von Biggen est née de Siggý, une folle diraient certains, un phénix pense sa fille témoin de sa diligence à renaître de ses cendres. Pour Hildur cette filiation est une croix, qui l’attache comme une araignée à sa toile. « Impossible d’endurer la vie avec de tels personnages. Terre calcinée, et odeur de brûlé à chaque pas. » Tellement enferrée dans les délires maternels – Siggý pense qu’une tête gît dans son congélateur, se baigne tout habillée dans sa baignoire en fumant la pipe – qu’Hildur ne sait plus distinguer ses cauchemars de la réalité. Tellement à l’ouest Siggý, que c’est sur l’île de Flatey que sa fille va devoir aller l’enterrer. Avec en poche la clé d’une maison inconnue et une lettre d’adieu.
Quand Hildur prend le bateau pour ce requiem maternel, cela fait des années qu’elle s’est échappée de la prison que représentait la folie de Siggý. Archéologue en Finlande, elle y traîne son enfance de nomade. Mais le regard décalé d’Hildur sur sa mère, sur cette vie hors normes, donne un puissant goût de sel à ce récit, à cette étrange navigation. Le cordon ombilical devra rompre, et Hildur pourra enfin larguer les amarres.
Il y a dans ce premier roman de l’Islandaise Soffía Bjarnadóttir quelque chose de l’univers de Kusturica, dans le rapport fantasque et jouissif à la vie et à la mort, de Cronenberg dans la représentation du corps poreux aux lombrics, à la petite vie grouillante qui se repaît de la putréfaction des chairs. Et de David Lynch souligne la narratrice, dans l’apparition décalée d’un assureur venu faire signer à l’héroïne une assurance-vie alors qu’Hildur est en pleine tentative de suicide. J’ai toujours ton cœur avec moi agit comme un hachoir surréaliste et poétique, qui découpe en lamelles l’existence, pour la rendre disséquée dans sa forme la plus brutale, la plus pure et la plus tordue : vivre et mourir, mais vivre comme « l’ombre qui éclaire ».
Virginie Mailles Viard
J’AI TOUJOURS TON CŒUR AVEC MOI
DE SOFFIA BJARNADOTTIR
Traduit de l’islandais par Jean-Christophe Salaün, Zulma, 144 pages, 16,50 e
Domaine étranger J’ai toujours ton cœur avec moi
février 2016 | Le Matricule des Anges n°170
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°170
, février 2016.