N’importe quel quidam peut être « nimbé soudain d’une nouvelle importance : une importance médiatique ». Tristan Talberg l’a bien compris, il vient de recevoir le prix Nobel de littérature. Une malédiction ! Auteur sexagénaire, installé et reconnu, il entend, comme Sartre en son temps, refuser sa récompense. Mieux, il disparaît tout simplement de la circulation : « Tristan Talberg – écrivain par ennui, vivant par amour, sociable par défaut, misanthrope par instinct – était mort à ce monde qui ne l’inspirait plus ». Le vieux bougon ne fait pourtant pas la diva. Il porte en lui une blessure toujours ouverte : la mort de sa femme. Lui, qui se concentre maintenant sur l’essentiel, son deuil, devient clairvoyant. Il dénonce par la politique de la chaise vide le Barnum médiatique. Patrick Tudoret, grâce à quelques pastiches très drôles, en profite pour singer les tics d’écriture journalistiques. Le Monde, Le Figaro et Libération relatent en effet le fait divers. Personne ne se doute que Talberg s’est lancé, incognito, sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle. Un pèlerinage philosophique qui l’amène à renier son passé : « un jeu d’ombres et d’apparences où tous nos actes, nos affections, nos mensonges concourent à l’illusion pathétique que nous ne sommes pas morts ». Entre le récit et le journal intime, le roman épistolaire et l’étude psychologique, Patrick Tudoret déplie un carnet de marche libérateur, qui ne confond pas le besoin de se retrouver et « l’amour exclusif de soi », un penchant « bien en vogue dans nos sociétés aux inclinations suicidaires ».
F. M.
L’HOMME QUI FUYAIT LE NOBEL
DE PATRICK TUDORET
Grasset, 239 pages, 18 €
Domaine français L' Homme qui fuyait le Nobel
janvier 2016 | Le Matricule des Anges n°169
| par
Franck Mannoni
Un livre
Par
Franck Mannoni
Le Matricule des Anges n°169
, janvier 2016.