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Traduction Simenon et ses passeurs

octobre 2015 | Le Matricule des Anges n°167

Le Collège des traducteurs littéraires de Seneffe (Belgique) accueillait fin août les traducteurs de l’écrivain belge le plus lu dans le monde.

Seule la bible du roi Jacques a réuni une telle équipe », constate avec le sourire David Bellos, l’un des treize traducteurs de Georges Simenon invités à Seneffe fin août pour quatre jours de travail collectif et d’échanges. Installé dans les anciennes écuries du château de Seneffe, le Collège offre chaque été depuis vingt ans un cadre de travail idéal à des traducteurs venus du monde entier pour traduire dans leurs langues les plus grands auteurs belges francophones.
En 2000, Eugène Savitzkaya y avait réuni ses traducteurs de La Célébration d’un mariage improbable et illimité et Jean-Philippe Toussaint y mène régulièrement des séminaires avec ses traducteurs affidés. En Allemagne, Günter Grass, qui considérait ses traducteurs comme « ses meilleurs lecteurs  », avait, le premier, inscrit le principe de tels séminaires dans ses contrats d’édition. Le collège de Straelen ou celui d’Arles ont ponctuellement organisé ce genre de rencontres. Mais jamais une si vaste entreprise de retraduction (en anglais et en néerlandais) n’aura été menée avec une même équipe sur un si long terme.
Si la maison d’édition hollandaise De Bezige Bij, ainsi que d’autres éditeurs dans le monde, n’ont pas encore de stratégie clairement définie, l’éditeur britannique Penguin a, lui, lancé en 2013 un projet bien mûri de retraduction de quelque 120 romans, à raison d’une sortie par mois sur une période de dix ans, avec un groupe fixe de neuf traducteurs. « Pas plus qu’une équipe de cricket  », apprécie David Bellos lors de l’atelier qui a réuni les anglophones au quatrième jour du séminaire. Au programme figurait une première rencontre avec John Simenon qui, à la tête de Georges Simenon Ltd, gère les droits des œuvres littéraires. Celui-ci était venu partager sa connaissance de l’œuvre paternelle, mais aussi « en apprendre davantage sur l’homme, à travers le regard de ses traducteurs  ». Selon l’Unesco, Georges Simenon est le troisième auteur francophone le plus traduit dans le monde (après Jules Verne et Alexandre Dumas).
Une journée de travail collectif en français a permis d’aborder les grandes problématiques traductives stylistiques (ponctuation, archaïsme et modernisation des realia, divergences et similitudes entre les Maigret et les « romans durs », risque de centrifugation stylistique, etc.) et éthiques (vestiges misogynes et antisémites dans la prose de Simenon). Cette première session d’intenses échanges a été suivie d’une journée de visite à Liège où naquit et vécut l’auteur jusqu’à l’âge de 17 ans. Le pont des Arches, le quartier d’Outremeuse, l’église Saint-Pholien, sans son pendu mais pourvue de sa clenche (« poignée », traduction simultanée du guide), « rien ne remplace d’être allé sur place. On peut certes tout trouver sur la toile, mais internet n’a ni son, ni odeur », estime Marijke Scholts qui est en train de traduire Les Inconnus dans la maison.
Trésor de ressources pour les traducteurs, le fonds Simenon abrité au château de Colonster près de Liège rassemble toutes les archives littéraires : près de deux cents romans, dont 75 Maigret, dans différentes éditions, des centaines de nouvelles et romans « lestes », un millier d’histoires courtes, une volumineuse correspondance, 3 000 photos, etc. auxquelles sont venues s’ajouter les innombrables études critiques. Enfin, les traductions, en cinquante langues, dont un exemplaire doit contractuellement parvenir au fonds. «  Nous en recevons une par semaine  », explique Laurent Demoulin, conservateur des lieux. Les mains gantées de blanc, celui-ci présente les lettres, les fameuses « enveloppes jaunes », les manuscrits originaux, à peine raturés, chaque correction allant toujours vers la simplification.
Sa « brièveté miraculeuse », « cet effet de modestie  » où « aucun mot n’est une digression  » est l’une des difficultés pointées par l’ensemble des traducteurs. Parmi tant d’autres embûches au rang desquelles les points de suspension figurent en bonne place. « Ils sont une intonation belge, ce sont des fissures qui laissent la place au temps  », indique Françoise Wuilmart. « Ils revêtent chacun des valeurs différentes, précise Sian Reynolds, au traducteur de savoir les repérer »  : hésitations, pauses dans le discours, échos du rythme simenonien, belgicismes…
Autre difficulté et non des moindres, la version anglaise doit convenir à tous les pays anglophones. Ainsi, doit-on garder «  concierge  » alors que le mot évoque en américain le portier qui gare les voitures à l’extérieur d’un hôtel ? « Il faut faire confiance aux lecteurs, le mot se comprend par son contexte  », estime Howard Curtis, dont la première traduction en 1986 était déjà un roman de Simenon. Élimination ou maintien des appositions, usages des contractions en anglais, grades des différents acteurs judiciaires, registres de langue, font l’objet d’une mise en cohérence des choix des traducteurs. En préfiguration d’une Charte des traducteurs de Simenon ? « L’œuvre de Simenon se prête à un projet d’une telle envergure car elle constitue un tout, comme la Comédie humaine  », conclut le président du Collège, Jacques De Decker.

Claire Darfeuille

Simenon et ses passeurs
Le Matricule des Anges n°167 , octobre 2015.
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