Tous viennent sur le devant de la scène, comme à la barre d’un tribunal imaginaire, mémoriel. Évoquent les souvenirs qu’ils ont de Diana, leurs alertes, leur impuissance, les raisons pour lesquelles ils n’ont rien pu faire pour protéger la fillette. Accolés les uns aux autres, ces témoignages dessinent le portrait en creux du petit fantôme et constituent la chronique d’une monstrueuse mort annoncée. Ces paroles tour à tour se juxtaposent, s’arc-boutent, se ramifient ou s’opposent, s’annihilent. Ici, tous les protagonistes, même les bourreaux, maîtrisent les codes du langage. Ce que le roman restitue admirablement, c’est d’ailleurs cette notion de territoires langagiers qui renvoient à des imaginaires différents et des pratiques et méthodologies variées. Il y a le médical, le social, le policier, le juridique… Même langue, mais pas le même jargon. Et le jargon fut-il protocolaire permet d’éloigner le réel. Ce qui peut être un atout institutionnel, sauf en situation d’urgence. D’autant plus qu’ici les parents tortionnaires surfent à merveille sur ces différents registres, du fait de la plasticité de leurs mensonges. Ils n’ont rien de bourreaux ordinaires, ne viennent jamais à la barre. S’ils ont réponse à tout, ils n’en demeurent pas moins des énigmes irradiées, maléfiques. Leurs propos lisses, déférents, argumentés sont rapportés par les autres protagonistes.
Première à s’inquiéter des bleus et diverses contusions apparus sur le corps de l’enfant, une institutrice. Pathétique, parce qu’une des rares à avoir une parole libre, humaine, responsable. Elle reconnaît l’enfant sur un avis de recherche et comprend le drame. Auparavant, elle aura fait des pieds et des mains pour avertir sa hiérarchie. Las, celle-ci par l’entremise d’un médecin scolaire relativisera, jusqu’à ce que l’enfant change d’école. Il en changera trois fois. La grand-mère maternelle, la tante, prises dans une histoire familiale opaque, évoqueront comment Diana fut considérée comme mort-née par sa propre mère. Mensonge annonciateur, fondateur. Le demi-frère, témoin impuissant, énoncera lui son propre enfer. De la victime, il subsistera une icône luminescente, un oxymore, une petite grande personne, vivante et mortellement résignée. D’une écriture délicate, subtile, maîtrisée, La Maladroite est un roman habité qui hante durablement. Son auteur, Alexandre Seurat, né en 1979, est professeur de lettres et vit à Angers.
Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de La Maladroite ?
En juin 2012, je tombe sur le compte rendu d’une audience du procès de l’affaire Marina, qui se tenait devant les Assises de la Sarthe : l’histoire terrible d’une petite fille martyrisée par ses parents pendant des années et qui finit par en mourir, alors que de nombreux témoins indirects, institutrices en particulier, avaient tenté d’alerter les services compétents. Je suis complètement happé par ce fait divers : je lis tous les articles que je trouve. Ce n’est pas en soi le thème de la...
Entretiens L’enfant bleue
septembre 2015 | Le Matricule des Anges n°166
| par
Dominique Aussenac
Dans un premier roman polyphonique aussi tendu qu’éclaté, Alexandre Seurat réanime le souvenir d’une enfant martyre.
Un livre