Dix-huitième roman de Margaret Drabble, grande dame des lettres britanniques, Un bébé d’or pur nous plonge dans le Londres des années soixante, un Londres plutôt intellectuel. Nous y découvrons un groupe de jeunes femmes au terme de leurs études supérieures. L’une d’elles, Jess, qui travaille sur une thèse d’anthropologie se retrouve enceinte suite à une relation amoureuse avec un de ses professeurs qui disparaîtra à la naissance de l’enfant. Une enfant pas vraiment comme les autres…
« Nous, on s’inquiétait pour elle, nous ses amies, sa génération, les autres mères. » La narratrice parle au nom d’un groupe, sorte de communauté de voisinage. Elle est une amie de Jess, sans plus. Il fallait cette distanciation pour décrire ce parcours bouleversant d’une jeune mère qui commence par un chagrin immense et se transforme en un amour exclusif, douloureux, exigeant. Certes Jess se mariera, et vivra quelques aventures. Mais pour elle ne compte qu’Anna, son « bébé d’or pur ». Et l’existence de sa fille va totalement modifier son rapport au monde.
Un bébé d’or pur est le récit sobre d’un dépouillement. Il a fallu à Jess se débarrasser de ses certitudes de « sa compréhension supérieure et snob » du monde à laquelle sa formation la prédisposait. Il lui a fallu sortir de l’apitoiement sur elle-même. Il lui a enfin fallu dévoiler sa propre vulnérabilité. « Nous sommes si transparents si peu armés si vulnérables au moment où nous mettons à nu notre fierté et notre affection. » Et le dépouillement de Jess devient acceptation. Tout évolue très vite autour d’elle. Seule Anna demeure stable, un point à jamais fixe, « l’éternelle enfant ». Pour la comprendre, Jess a besoin de se créer une autre vision du monde et du temps, de s’écarter des approches dites rationnelles, de la recherche de significations pour s’ouvrir à d’autres dimensions plus humaines.
Un bébé d’or pur est ainsi la découverte d’un beau chemin et de ses beaux paysages. Il y a quelque chose qui tient de l’initiation, du retour à l’origine dans le parcours de Jess. Étudiante, Jess avait observé des enfants indifférents à leurs infirmités, jouer sur les bords du lac Bangweulu en Zambie, « le lac sans rives ». Elle est convaincue que c’est de ce grand lac qu’ont émergé toutes formes de vie. Dans son imaginaire, sa fille et elle s’y rejoindront pour toujours. Sa fille devient un « précieux chargement à transporter durant tout le lent chemin de la vie jusqu’à ses frontières lointaines et encore inimaginables sur les rives du lac resplendissant ». La prose très poétique de Margaret Drabble nous aide à percevoir les efforts que fait cette jeune mère pour se nourrir d’images qui lui permettent d’adoucir son épreuve et surtout de partager un peu de ce « monde enchanté » qui est l’univers mental de sa fille.
Un bébé d’or pur est surtout un émouvant plaidoyer. Jess sera contrainte d’inscrire Anna dans un institut spécialisé, près d’Enfield, là où Keats enfant, allait à l’école. Elle pense aux poètes romantiques anglais, à leur sensibilité si opposée à notre monde contemporain où l’obsession de la performance et de la rentabilité nous a rendus tout simplement méchants. Existent-ils encore ces « mille petits gestes anonymes et oubliés de bonté et d’amour », dont parlait Wordsworth ? A son arrivée à Londres, le poète avait été bouleversé à la vue d’un mendiant aveugle tenant une pancarte résumant sa détresse. Le texte de Margaret Drabble élargit la situation d’Anna à celle de tous les vulnérables. Leur existence ne cesse effectivement d’interroger notre humanité et les réponses ne sont guère faciles. Il faudrait certainement apprendre à « être humain autrement ». Après tout, Jess y est bien parvenue.
Yves Le Gall
Un bébé d’or pur
Margaret Drabble
Traduit de l’anglais par Christine Laferrière,
Christian Bourgois, 402 pages, 22 €
Domaine étranger Le trésor des vulnérables
mars 2014 | Le Matricule des Anges n°151
| par
Yves Le Gall
En observant les relations d’une enfant « différente » avec sa mère, Margaret Drabble nous convie à changer notre regard. Poignant.
Un livre
Le trésor des vulnérables
Par
Yves Le Gall
Le Matricule des Anges n°151
, mars 2014.