L’identité noire, écrivait Paul Beatty dans Slumberland (Seuil, 2009), c’est du passé, et moi, pour ma part, je ne pourrais m’en réjouir davantage, parce que désormais je suis libre d’aller au centre de bronzage si j’en ai envie, et j’en ai envie. » Cette question de l’identité était déjà au cœur d’American Prophet, son premier roman, aujourd’hui traduit aux éditions du Passage du Nord-Ouest. Ce roman halluciné se présente sous forme de mémoires. Gunnar Kaufman, le narrateur, commence par raconter sa généalogie. Parmi ses ascendants des esclaves veules ou opportunistes, des hommes libres en droit, mais toujours asservis. Son enfance à Los Angeles est heureuse, mais tout change lorsqu’il quitte Santa Monica pour le ghetto de Hillside où il va lui falloir apprendre à être un Noir. De manière aussi drôle que percutante, dans une langue parfois très littéraire, parfois très argotique, Beatty raconte les mésaventures de Gunnar et de ses deux amis : Scoby, un basketteur amateur de jazz et Psycho Loco, un redoutable chef de gang. Poète et basketteur de génie, Gunnar va peu à peu s’imposer et devenir malgré lui le porte-parole déjanté de la communauté noire.
Paul Beatty, vous avez débuté votre carrière artistique par le slam. En 1990, vous êtes couronné grand champion de slam au fameux Nuyorican poets cafe de New York. Vous publiez ensuite deux recueils de poèmes : Big bank take little bank, en 1991 et Joker, Joker, Deuce, en 1994. Quelles sont les raisons qui vous ont poussé vers la prose ? Quelle est l’influence du slam sur votre écriture romanesque ?
Ce qui m’a poussé vers la prose ? Difficile à dire. Je n’ai jamais été très à l’aise avec mon statut de poète, et encore moins avec l’étiquette de slameur qu’on m’avait collée. La longueur de mes poèmes devenait délirante et les deux personnages principaux d’American Prophet commençaient à prendre corps dans ma tête. À l’époque, je disais à qui voulait l’entendre que j’avais une idée de bouquin mais que je ne savais pas encore de quoi il s’agissait. En rédigeant deux essais que m’avait commandés le Village Voice, je me suis rendu compte que la prose me rebutait en fait moins que je ne l’avais cru. Je m’étais mis à la poésie en partie parce que j’appréciais la liberté formelle qu’elle offrait. Bien sûr, en poésie aussi il existe des « règles », mais je ne les connaissais pas, et cette méconnaissance de la forme et de la fonction faisait du médium une sorte de havre dans lequel je pouvais me retrouver seul avec mes pensées. Comme je suis originaire du sud de la Californie, je prends toujours autant de plaisir à marcher dans la neige vierge, et dans la page de poésie, je pouvais contempler la trace que laissaient mes pas. Au milieu des années 1990, à l’occasion d’un long essai intitulé What set you from, fool ? [T’es de quel gang, crétin ?] que j’ai écrit pour NEXT, une anthologie rassemblant des auteurs de la génération X, je me suis aperçu que la prose offrait encore moins de...
Entretiens Le grain des mots
octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147
| par
Eric Bonnargent
Paul Beatty s’interroge de nouveau sur la fiction de l’identité noire et trace un portrait sans concession d’une Amérique bien-pensante.
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