Sous le signe du départ : entretiens avec Blaise Cendrars
Blaise Cendrars - Henry Miller : Correspondance 1934-1959, “Je travaille à pic pour descendre en profondeur”
Blaise Cendrars - Robert Guiette : Lettres 1920-1959, “Ne m’appelez plus... maître”
Comme un bonheur ne vient jamais seul, parallèlement à la publication en Pléiade des Œuvres autobiographiques complètes de Blaise Cendrars, les éditions Zoé lancent leur collection « Cendrars en toutes lettres » qu’inaugurent deux titres.
Le premier est une nouvelle édition de la correspondance avec Henry Miller (Denoël, 1995), enrichie de quelques lettres adressées à des proches (Anaïs Nin, Frédéric Temple, Miriam Cendrars…), et des textes qu’ils ont consacrés à leurs œuvres respectives. Elle débute avec une lettre accompagnant l’envoi à Cendrars de Tropique du Cancer, le premier livre publié de Miller qui venait de paraître, en anglais, à Paris (1934). Celui-ci a 44 ans, est inconnu, tandis que Cendrars, qui en a 47, est deux fois célèbre, comme poète et comme romancier. Un livre que Cendrars va aimer, « livre royal, livre atroce, exactement le genre de livres que j’aime le plus. Le livre d’un étranger qui débarque à Paris, qui s’y perd, qui y perd pied », écrira-t-il dans le premier article reconnaissant la valeur de Tropique du Cancer. Un enthousiasme qui s’explique aussi par d’indéniables similitudes, « car moi aussi mon cher Henry Miller, j’ai erré pauvre et transi dans les rues hostiles d’une grande ville à l’étranger où je ne connaissais pas âme qui vive, et où j’ai écrit mon premier livre, c’était dans votre vieux New York, mon vieux…, mais ceci est une autre histoire. » Auparavant, et en réponse à l’envoi de Miller, Cendrars aura été le saluer chez lui, Villa Seurat, laissant l’Américain abasourdi. Il écrit à Anaïs Nin : « En tant qu’homme j’ai dû le décevoir, je n’ai presque rien dit. Et pourtant quelle journée ! Quelle nuit (…) Épique. (Tout en français, d’ailleurs, car il refuse par principe de parler anglais) (…) J’étais le con parfait. » Une correspondance un temps interrompu – Miller a quitté la France en 1939 pour n’y revenir qu’en 1953 – pleine de sincérité et d’échanges sur les difficultés de l’écriture, leurs projets éditoriaux, leurs peines et leurs joies. Certes, on sent Miller toujours un peu intimidé, mais la complicité est évidente si les styles sont différents, Miller amplifiant Cendrars distillant.
Il n’en est pas de même dans la correspondance qu’échangèrent Cendrars et Robert Guiette (1895-1976), un jeune médiéviste belge de 25 ans, passionné de poésie et pour qui Cendrars est Le poète moderne par excellence. Un volume qui ne comporte que deux lettres de Guiette – les deux seules conservées – et où l’on découvre un Cendrars au ton constamment cordial, mais dont l’amitié n’ira jamais jusqu’à l’intimité. S’il confie à l’universitaire qu’il utilise la ponctuation comme « une indication rythmique et non de syntaxe », c’est surtout le rôle de guide éclairé qu’il joue. Quand Guiette lui envoie sa thèse, il n’en lit que la moitié et lui écrit : « C’est intéressant, mais parfaitement inutile. » Lorsqu’il est interrogé sur sa vie, Cendrars répond : « Je ne sais pas parler de moi. Je n’ai pas le temps et vivre...