Salué dès parution par la critique, le nouveau roman de Jérôme Ferrari éclaire rétroactivement toute son œuvre. Parce qu’il prolonge une phrase élastique inaugurée avec Un dieu un animal (2009) et qu’il retrouve le bar et le village au centre de Balco Atlantico (2008). Mais surtout parce qu’il pousse, au cœur des ténèbres, une réflexion habitée depuis l’origine de l’écriture et dont on avait salué ici la force et la radicalité présentes dans Où j’ai laissé mon âme (2010, chez Actes Sud comme les deux autres cités). Jérôme Ferrari, et son nouvel opus le prouve, construit donc une œuvre d’importance (débutée par deux livres publiés chez l’éditeur corse Albiana) où il faudrait être myope pour ne voir qu’un exercice intelligent de philosophie appliquée à la littérature. Ce n’est pas l’œuvre d’un philosophe, encore moins celle d’un prof de philosophie, qu’on lit, mais celle d’un homme. Et si cet homme prête des parts de son existence à ses personnages, alors on pourrait parier qu’il s’agit d’un homme habité par les gouffres, hanté par l’inexorable disparition non de soi-même, mais du monde tout entier et qui, le sachant, sait aussi que le seul remède à l’angoisse de ce savoir-là repose dans une foi qu’il n’a pas, qu’il ne cherche pas même à avoir.
L’œuvre, donc, déraille de la voie que la critique lui trace : entre intelligence et savoir-faire. Elle défait toute tentative de la circonscrire car elle affronte, avec des armes que la philosophie n’a pas et que la fiction se forge en avançant, l’énigme d’être vivant dans la connaissance du non-sens de l’existence. Elle charrie, cette œuvre en cours, des obsessions d’une justesse si foudroyante qu’elle signe le travail de l’artiste plus que celui de l’artisan ou de l’intellectuel quand bien même Ferrari sait penser et écrire. Le sexe, l’alcool, la violence y tracent les cercles d’un enfer qui constitue bel et bien le présent de personnages que le vide céleste accable. Traversés d’un questionnement métaphysique empreint de mysticisme, les romans s’ancrent pourtant dans un territoire bien réel, une terre corse que l’auteur, comme Matthieu l’un des protagonistes du Sermon sur la chute de Rome, a choisie comme terre d’élection.
Natif de Paris en décembre 1968, élevé à Vitry-sur-Seine, Jérôme Ferrari fait à Paris des études de philosophie jusqu’à l’obtention de sa maîtrise à 20 ans. Il part alors s’installer en Corse (« c’était mon obsession ») comme le fait Matthieu dans son roman. Pour poursuivre le portrait, il ne serait pas vain de se replonger dans Balco Atlantico puisque ce roman évoque le milieu nationaliste que Ferrari a fréquenté : comme Stéphane Campana (l’un des nombreux chevaliers noirs que l’écrivain aime explorer comme pour éclairer ses propres zones d’ombre), Jérôme Ferrari épouse un temps la cause nationaliste, participe à la création d’un journal voué à cette cause auquel il collabore pendant deux ans : « expérience catastrophique » qui « mettra fin pour moi à toute forme de...
Entretiens Ecce homo
En très peu de temps, le romancier Jérôme Ferrari a su imposer une œuvre autant radicale que sensible et précise. Le Sermon sur la chute de Rome vient aujourd’hui apporter un écho à toute une œuvre qui ne manque pas de voix. Pour durer.