Chez Claude Louis-Combet, rien d’infigurable, rien d’inénarrable, rien d’innommable. Son œuvre – se développant aux confins de l’intelligible et du sensible et dans les marges des légendes et des mythes – ne cesse de nouer l’intime à l’étrange, l’extase à la déréliction, et n’est que mise en scène et en langue des configurations vertigineuses des antinomies de la chair et de l’esprit, du désir et de la fascination, de la souffrance et de la jouissance. Ainsi, tout ce qu’on tient d’ordinaire éloigné de la vue, il nous le montre, le transforme en source d’épiphanies, comme en témoignent à nouveau, aujourd’hui, Gorgô et Des transes et des transis, deux opuscules montrant, pour l’un, la beauté dans toute son horreur, et pour l’autre, l’horreur dans toute sa beauté.
Dans Gorgô, Claude Louis-Combet revisite le mythe des Gorgones, s’intéressant plus particulièrement à celle des trois sœurs qui porte le nom de Méduse, celle qui unit en elle la Belle et la Bête, et dont le regard attire, fascine, et tue. « Posséder par les yeux, c’est déjà posséder par le sexe et c’est la mort aussitôt, sans palabre ni rémission. » Une double nature de ténèbres et de séduction que Claude Louis-Combet approche poétiquement, en s’attachant à la façon dont elle participe de deux mondes, appartient « à la vivante matière du monde et des origines », incarne la luxuriante sauvagerie de l’animalité élémentaire, et la monstrueuse intrication de la mort et du désir ramassée tout entière dans le blason de son sexe.
Cette « femme animale, haut lieu du sexe, génie de l’hybridation, ramassis de haine et d’amour », il l’amène à la transparence des mots et des images. De ce corps construit autour du sexe, de ce point du vivant qui polarise tant d’obscures émotions, de ce point d’enténèbrement et d’illumination qui condense l’essence charnelle, florale et animale du corps et de l’être de la femme, il dit la puissance d’envoûtement, la monstruosité fascinante, la vie jaillissante.
On sent qu’il aimerait exonérer ce monstre féminin de la charge d’angoisse qui lui est associée, en la ramenant à une sorte de figuration de la nature désirante en son état de pulpe, en son pur excès de désir et de plaisir, et ce, par-delà, ce qui la comblait, elle, « et la faisait longtemps saliver dans le ressassement de son plaisir », à savoir l’épouvante de l’homme en proie à son regard, « un regard dont la subtilité perverse n’était pas d’annihiler les forces de la victime, mais au contraire, de réveiller l’énergie sexuelle et de la pousser au paroxysme de l’ithyphallie ». Mais Persée la tuera, éliminant, du coup, « la fertile angoisse qui pousse à la création et aux magnifiques excès de la folie et de ce qui serait, un jour, la sainteté. »
Aux noces extatiques du sexe et de la mort font écho les noces du corps et de la terre, les affres de cette sorte de coït post-mortem des corps soumis à l‘étreinte macabre, et dont les proses poétiques réunies dans Des transes et des transis accompagnent le retour à l’origine. Ces transis sont ceux que – « pour le plus grand scandale du bon goût, comme pour celui du néo-conformisme de l’art ludique et conceptuel » – sculpte Félix de Recondo. Bien loin des gisants, « pudiquement allongés sur la pierre tombale », mains et jambes serrées et revêtus de leurs plus beaux atours, les transis sont nus. Ce ne sont pas seulement des morts mais des cadavres exhumés, à la chair démantelée, donnant l’impression « d’une solitude sans issue dans une douleur qui ne s’est pas encore achevée ». Une errance au cœur des formes de la déréliction finale, parmi la « beauté ravageante, accusatrice et foratrice » dont les transis, dans l’horreur de la béance et de la pantelance, incarnent l’expression aussi exorbitée qu’irrécusable.
Richard Blin
De Claude Louis-Combet :
Gorgô
Galilée, 72 p., 16 €
Des transes et des transis
Dessins et photographies de Felix de Recondo
Fata Morgana, 48 p., 11€
Domaine français Beauté sans nom
avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122
| par
Richard Blin
De Méduse aux transis, Claude Louis-Combet poursuit – insatiable, dévorante – sa quête des figures de l’excès.
Des livres
Beauté sans nom
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°122
, avril 2011.