Les créatures de Maria Velho da Costa semblent toujours émerger d’une heure indécidable, entre chien et loup. Couple étrange que cette déshéritée qui a appris à voler en même temps qu’à se dérober elle-même, et ce pitbull entraîné à déchiqueter d’autres chiens. Dire de Myra qu’il s’agit d’une histoire d’amour entre une jeune fille en fuite et un mâtin ne serait pas tout à fait juste. Le passé invisible et partout présent de la jeune fille rôde et brouille notre compréhension de lecteur avide de savoir, de reconnaître malgré lui. Or Myra l’indistincte est un être que façonnent les différentes et tout aussi improbables personnes qu’elle rencontre sur le chemin de son errance. Comme au point de fusion du ciel et de l’océan contre lequel elle finit toujours par buter, elle vient de Russie et trimballe sa misère au Portugal. à « la langue des jeux, des yeux, des gestes et des rires », elle a substitué un usage prudent et parcimonieux de la parole et du dialogue, et entrepris de communiquer sans un mot ses pensées à son compagnon d’infortune.
Pourtant, la romancière portugaise ne se prive pas d’un phrasé un peu solennel, qui peut sembler « déplacé ». Fragments de Camões, réminiscences littéraires, densité trop exacte des formules, crudité bien pesée, on trouverait presque cela fade et timoré, pour parler d’une sans papiers. Mais la narration un brin surréaliste de Maria Velho da Costa est visitée par des figures douteuses, mi angéliques mi maléfiques, estropiées, qui donnent au texte sa prégnance : un prêtre singulier, un cafard aux moustaches de chat, un mulâtre enchanteur, Pasolini, un vieillard Cassandre qui dit à Myra d’un seul trait « Toi, tu sens les roses fanées, le con et l’aisselle, la boue et le chien. »… Le livre est nimbé d’une sorte d’inconsistance dont on ne sait jamais si elle est une faiblesse ou une torpeur voulue qui sert à faire éprouver le cauchemar. Récit angoissant, où, comme dans un rêve, toutes les pièces communiqueraient et ramèneraient impitoyablement au même, Myra progresse par rumeur et par ressac, ellipses et obsessions, mimant le mal être de l’héroïne, jusqu’à prendre alors l’allure d’un conte amoral.
Chloé Brendlé
Myra
Maria Velho da Costa
Traduit du portugais par Maria do Carmo Vasconcellos
La Différence, 227 pages, 20 €
Domaine français Myra
novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118
| par
Chloé Brendlé
Un livre
Par
Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°118
, novembre 2010.