A Paris, jusqu’au 24 janvier 2011, le Grand Palais crée l’événement à travers une vaste rétrospective Monet. Près de deux cents œuvres exposées dont Le Déjeuner, une série de Meules et de Nymphéas, etc. C’est dire combien Trois hommes dans un jardin tombe à point nommé. Conservateur de musée, historien d’art, essayiste et auteur de nombreux ouvrages consacrés à Matisse, Xavier Girard nous invite à entrer dans la Maison aux volets verts, à déambuler le long de l’allée centrale du Clos Normand, parmi l’« opéra des couleurs ». Là même où, durant plus de quarante ans, l’auteur d’Impression, soleil levant combina puis déclina tout à loisir ses deux passions, la jardinage et la peinture : « Les éclats de rosiers ! Les toiles ! Les bordures ! Les châssis ! Que fait-il d’autre ? La langue des peintres et des jardiniers emprunte les mêmes chemins : il « pioche », « gratte » et « taille » sans arrêter. Giverny n’est pas Brocéliande. L’ancien verger ne s’est pas transformé par enchantement en un eldorado de taches. »
Le 10 mai 1917, à 8h27, deux Fauves, Matisse et Marquet, prennent le train gare Saint-Lazare pour rejoindre Mantes. Sylvain, le chauffeur mécanicien de Monet, les y attend qui, revêtu de l’uniforme ad hoc, doit les conduire à Giverny. Voilà, peu ou prou, les seules données irréfutables sur lesquelles reposerait Trois hommes dans un jardin : « Quelle importance accordent-ils à cette visite ? Une ligne à peine mentionne l’événement dans les livres de leurs « vies » respectives. Et puis le biographe tourne court. Pareille discrétion a de quoi surprendre. Est-ce parce qu’on sait qu’ils se sont bien retrouvés ce jeudi-là à Giverny et rien de plus ? » Rien de plus ? Qu’à cela ne tienne ! La rencontre de trois peintres, fût-elle mystérieuse et improbable, autorise n’importe quelle conjecture. À peine arrivés, Monet aurait bien pu pousser sur-le-champ ses hôtes du côté du troisième atelier, ce « bloc de lumière verticale sous le charroi du ciel » dans lequel l’artiste travaille sur ce « long travelling avant la lettre » que sont les Nymphéas du musée de l’Orangerie. De même, un déjeuner composé d’un feuilleté de beurre de crabes d’Avranches, d’un turbot, d’un canard, de fromages et d’une tourte cauchoise, aurait peut-être été servi grâce aux bons soins de Blanche, gouvernante placide à la « tête un peu moricaude ». Enfin, on se serait sûrement parler de l’inanité dans laquelle sombre la peinture d’histoire, de l’acquisition récente du Port de Naples de Marquet par Monet, de Gustave Caillebotte, du « temps heureux des querelles » d’écoles avant la guerre, etc.
Trois hommes dans un jardin n’est ni totalement un roman biographique, ni totalement un essai sur les malentendus esthétiques qui opposent le créateur de La Danse et celui de Camille sur son lit de mort. En citant les artistes eux-mêmes ou bien en s’appuyant, un peu à la façon d’un Claude Simon, sur de nombreuses photographies, Xavier Gérard parvient à modeler ses personnages, à les épaissir. Au moyen d’une palette qui n’a absolument rien à envier aux meilleurs coloristes, il va jusqu’à exceller dans l’écriture d’un autoportrait de Monet, « front cabossé, couleur de brique rouges, la barbe monté en neige, travaillée en pleine pâte à grands coups de jaune citron et de vert bleuté », soit une manière de « tête des types féroces de la carotte dont Alphonse Daudet affublait les peintres-paysagistes ».
Jérôme Goude
Trois hommes dans un jardin
Xavier Girard
André Dimanche, 216 pages, 19 €
Domaine français Impressions de Giverny
novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118
| par
Jérôme Goude
Au moment où des hommes périssent dans les tranchées, Henri Matisse et Albert Marquet se rendent en Normandie, chez Claude Monet. Nul n’a jamais vraiment su pourquoi.
Un livre
Impressions de Giverny
Par
Jérôme Goude
Le Matricule des Anges n°118
, novembre 2010.