Chris Ware, la bande dessinée réinventée
Bio et bibliographie, entretien, présentation des œuvres, études synthétiques et « micro-lectures » de quelques planches : les auteurs transpirent comme de beaux diables pour nous prouver que Chris Ware, c’est de l’art. Ses œuvres ne sont que très partiellement traduites en France, mais les années 2000 l’ont déjà sacré : prix Guardian du Meilleur premier ouvrage, invitation à la biennale du Whitney Museum of american art de New York, Ware obtient plus qu’aucun auteur de BD avant lui. Passée la première impression de froideur (modernisme d’un style graphique simple, goût des schémas, à-plats de couleurs), nous voilà égarés dans la composition extraordinairement complexe de ses planches : des cases parfois minuscules qui se superposent comme des maisons, des étages, des immeubles, des albums aux formats inattendus et conçus de A à Z comme par un enlumineur maniaque… « D’où l’effet paradoxal, écrit Jacques Samson, d’un dessin apparemment froid et distant qui porte en lui la brûlante subjectivité d’une expérience intériorisée du réel » : la technique ambitionne ici de servir l’émotion et de figurer des expériences essentielles - la pensée, le temps, la mémoire. Si l’on s’agace parfois de la statue un peu convenue qu’érige cette monographie (le Créateur, son Labeur, sa Solitude et sa Mélancolie), il faut reconnaître que les propos de Ware, modestes et clairs, intéressent constamment : ainsi quand il dégage la spécificité de son artisanat en le distinguant du dessin (la bande dessinée comme processus de lecture et non simplement comme regard) et de la littérature - « Il faut travailler de front l’écriture et le dessin, du coup on travaille de manière hachée, on ne peut pas se laisser porter par un courant comme dans l’écriture » -, ou qu’il le situe entre la science de la mélodie et celle des proportions : « La bande dessinée est un art de la composition pure, soigneusement construite comme de la musique, mais structurée comme une architecture ».
CHRIS WARE, LA BANDE DESSINéE réinventée
de jacques samson
et benoit peeters
Les Impressions nouvelles, 160 pages, 22 €